Perspectives

Covid-19 : le cri d'alarme des fabricants d'instruments

Le 08/04/2020
par Samira Hamiche
Alors qu'une majeure partie des entreprises du secteur sont à l'arrêt, la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) souligne leur situation préoccupante. Dépendants d'un marché perçu comme secondaire par les consommateurs, les fabricants d'instruments sont en réel danger...
Partager :
Masque vénitien sur une partition

Afin de mesurer l'impact de la crise sanitaire du coronavirus sur le secteur de la facture instrumentale, la Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI) a initié le 23 mars une enquête auprès des entreprises de la branche.

Résultats : sur 404 répondants, plus de la moitié ont totalement suspendu leur activité (55,2%) et 37,7% enregistrent une chute de 75 à 100% de leur chiffre d'affaires. En cause : l'absence ou l'annulation de commandes et d'interventions chez des particuliers, la fermeture des ateliers...

Les entreprises encore partiellement en activité sont pour plupart dirigées par des travailleurs indépendants, dont la trésorerie reste fragile. En outre, chaque activité est confrontée à ses propres difficultés contextuelles. Les accordeurs de piano, par exemple, "effectuent une bonne partie de leur activité à domicile, de fait annulée par bon nombres de clients ; beaucoup d'entre eux ne savent pas comment bien gérer la demande d'aides", commente Jacques Carbonneaux, vice-président de l'APLG (luthiers en guitare, association membre de la CSFI).

"Pour les entreprises avec salariés souhaitant reprendre une activité partielle, il est difficile d'obtenir le matériel sanitaire nécessaire à la sécurité des salariés ; de plus, certaines de ces entreprises ont donné à l'Etat tout le matériel sanitaire dont elles disposaient", note Jacques Carbonneaux.

Des aides jugées opaques et difficilement accessibles

Trop parcellaires, mal relayées, fluctuantes... 67,5% des facteurs d'instruments estiment moyennement ou peu compréhensibles les informations relatives aux aides d'État. Ces dernières ne sont pas jugées "pertinentes" par la profession : 81,2% des répondants estiment ainsi que les aides proposées ne répondent pas à la réalité du terrain. Plus encore, une large majorité (89,1%) témoigne de difficultés pour y accéder. Les démarches de chômage partiel sont jugées compliquées par 63,6 % des sondés.

De sa propre expérience, la vice-présidente de la CSFI, Fanny Reyre Ménard, confirme que l'accès aux aides requiert "une maîtrise administrative" et "un sens aigu du décodage de formulaire numérique". Un constat "redoutable, voire désespérant quand on n'est pas accompagné". Néanmoins, la luthière salue les dispositifs "conçus dans l'urgence pour être les plus accessibles possible aux TPE".

"Il ne faut pas rester isolés", insiste la vice-présidente de la CSFI, qui conseille aux artisans de se faire accompagner par leur Chambre de métiers et de l'artisanat, leur organisation professionnelle ou leur expert-comptable s'ils en ont un.

Les facteurs d'instruments "en bout de chaîne"

Par son caractère inédit, la crise du coronavirus appelle des réponses adaptées à la branche. La plupart des entreprises de la facture instrumentale dépendent des commandes de musiciens et de particuliers.

Le contrecoup sera d'autant plus violent pour les artisans placés sur des marchés "de niches", et/ou à l'export : "aux difficultés pratiques et financières risquent de s'ajouter des tendances lourdes de recentrage des marchés nationaux", alerte Fanny Reyre Ménard. Par effet domino, la facture instrumentale souffre ainsi d'être reléguée au dernier plan...

"La facture instrumentale est en bout de chaîne, et nous mettrons encore plus de temps à redémarrer : combien de temps avant que les concerts soient de nouveau possibles ?" 

Fanny Reyre Ménard, vice-présidente de la CSFI 

Anticiper "l'après" avec des aides ciblées

Pour survivre à la crise, les entreprises plébiscitent des aides immédiates à la trésorerie, aux cotisations sociales et aux charges fixes (suppression et non report de charges). L'étude de la CSFI cite notamment des délais de paiement de TVA, l'accès facilité aux prêts bancaires, une aide dédiée à la perte d'exploitation ou encore une aide exceptionnelle pour le secteur des instruments de musique.

"La filière musique dans son ensemble et au niveau mondial est laminée par les effets de cette crise." 

Mais, à long terme, la priorité est d'anticiper la reprise. Pour aider au redémarrage, la CSFI a plusieurs pistes de travail :

  • des aides directes aux organisateurs et exposants de salons spécialisés ;
  • une prime ou crédit à l'achat d'instruments de musique ;
  • des campagnes de communication pour favoriser la pratique et l'achat d'instruments ;
  • un soutien par les collectivités locales en faisant entretenir et renouveler les instruments des écoles et écoles de musique ;
  • un accompagnement personnalisé pour les entreprises qui n'auront pas résisté.

La CSFI tentera de peser sur le plan de relance esquissé par le ministère de la Culture. Pour y parvenir, l'organisation, en tant que membre de la CNAMS, bénéficie notamment du soutien de l'U2P. Une nouvelle enquête sera par ailleurs menée fin avril auprès des entreprises de la facture instrumentale.

Partager :