Ça fait débat

Gilets jaunes : la fronde des territoires

Le 20/12/2018
par Sophie de Courtivron
Du ras-le-bol des automobilistes à la dénonciation de la baisse du pouvoir d'achat, le mouvement des Gilets jaunes s'est plusieurs fois métamorphosé, réveillant au passage des revendications très variées. Comment impacte-t-il les artisans, eux-mêmes confrontés aux fins de mois difficiles ? Décryptage avec les acteurs de terrain de l'artisanat.
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Tout est parti d’une grogne générale face à la hausse des carburants. Qui a peu à peu fait éclore les nombreuses frustrations des brimés de la Ve République.

Triple peine pour les artisans

Les TPE font partie d’une écologie fine qui demande une attention spécifique. Si quelques réformes les servent sur certains points (future loi Pacte…), les TPE n’en croulentpas moins sous les impôts, taxes et autres cotisations (par exemple, plus de 42 % de cotisations sociales obligatoires en France, contre 14 % en Allemagne ou 9 % en Angleterre).

Ce mépris de leurs particularités est leur première peine, quotidienne… Ensuite, viennent les mesures momentanément suspendues à cause des manifestations, mesures qui ne leur pendent pas moins au nez ! Ainsi, la fiscalité écologique sur les carburants représenterait un coût de "16 000 € en plus par an pour un engin de chantier", illustre Gérard Bobier, président de la Chambre régionale de métiers et de l’artisanat (CRMA) Centre-Val-de-Loire et dirigeant d’une entreprise de travaux publics.

Troisième peine, les dégradations liées aux manifestations des Gilets jaunes qui ont engendré pour certains une perte de chiffre d’affaires considérable en cette période normalement prospère. "Certains vont baisser le rideau", déplore Gérard Bobier.

Des pansements au lieu d’une guérison

Les gouvernants ont réagi au fil des semaines... Citons notamment des délais de paiement des échéances sociales et des remises de pénalités de la part de la DGFiP afin d’aider les artisans à faire face aux dégâts physiques et collatéraux de la révolte. 

Édouard Philippe a proclamé le report des mesures de financement de la transition écologique sur les carburants, de la hausse de l’électricité et du gaz, ou encore du durcissement du contrôle technique. Pour redonner du pouvoir d’achat, le Président de la République a quant à lui évoqué la hausse du Smic (100 €), la défiscalisation des heures supplémentaires et une prime défiscalisée pour les salariés. 

Si ces mesures ont été bien accueillies, personne n’est dupe : l’augmentation du Smic était prévue lors du quinquennat, et report ne veut pas dire abandon. Car derrière cela, il est bon de rappeler que "le pouvoir d’achat ne se gagne pas par le bon vouloir de l’État
mais avant tout par le travail dans les entreprises", selon Agnès Verdier-Molinié, de l’iFRAP.

Pour certains observateurs, comme Paul-Henri Antonmattéi, avocat et professeur de droit qui a pris la parole au dernier Congrès de l’UNAPL, "la politique fiscale des prélèvements obligatoires est incohérente et injuste depuis des années ; (…) il faut revoir le fonctionnement complet de l’État ».

Cette crise aurait pu être l’occasion d’un ravalement profond, mais le Gouvernement a préféré coller des "sparadraps" sur une infection qui demeure.

Vers une reconsidération des corps intermédiaires ?

Jusqu’à maintenant, "on a cassé les syndicats, les chambres consulaires et les partis", résume Serge Vidal, président de la CRMA Auvergne-Rhône-Alpes. De plus, au lieu d’être considérée comme une force vive en puissance pour l’économie, "l’entreprise est par principe coupable", notait Alain Griset, président de l’U2P, en illustrant son propos par le fait que "l’État a fait des centres de gestion agréés des contrôleurs fiscaux".

Édouard Philippe a annoncé qu’une concertation locale sur les impôts et les dépenses publiques se tiendrait du 15 décembre au 1er mars. Les corps intermédiaires, présents
sur le terrain et représentants d’acteurs de proximité, y ont un fort rôle à jouer. Pour Paul-Henri Antonmattéi, "le pays doit apprendre ce qu’est le dialogue, et qu’il y a là un véritable enjeu de démocratie". Ainsi, nous sommes dans une période essentielle : le Gouvernement pourra-t-il réellement remettre en question sa double casquette "autocratie / technocratie" ?

Le réseau des chambres, solidaire

A noter : le fonds de calamités et catastrophes naturelles de l’APCMA a été étendu pour les artisans victimes de dégâts matériels de nature à bloquer leur activité.

>> A lire aussi : Témoignages et analyse des présidents de CMA Serge Vidal, Gérard Bobier, Jean-Pierre Galvez et Joël Fourny.

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