INTERVIEW EXCLUSIVE

Joël Fourny : "L’année de l’ambition, de l’action et du concret"

Le 01/03/2024
par Propos recueillis par Julie Clessienne
Optimiste, réaliste et volontaire. Tel est l’état d’esprit de Joël Fourny, le président de CMA France, aux prémices de cette année 2024 pleine de défis pour le secteur artisanal. Il a confié au Monde des Artisans les combats et les ambitions qui l’animeront pour la poursuite de son mandat.
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À mi-mandat, auriez-vous un mot pour définir les deux années qui viennent de s’écouler pour l’artisanat en France ?

Le mot qui me vient immédiatement à l’esprit est double, c’est adaptabilité et combativité. C’est ce qui caractérise le mieux les 1,9 million d’entreprises artisanales, alors que les crises se succèdent, et qu’elles sont aujourd’hui inquiètes de l’impact de l’inflation. Je suis moi-même frappé par leur capacité à se repositionner et à se réinventer. Je voudrais saluer ici leur capacité de résilience.

Dans ce contexte, le rôle des CMA a été crucial. Pour les soutenir au quotidien. Pour les aider à anticiper les risques et les difficultés. Concrètement, cela s’est traduit par la multiplication des contacts. Si nous avons informé sur les dispositifs d’aide de l’État, nous nous sommes surtout assurés que personne ne passe entre les mailles du filet. Il faut que tous les artisans éligibles puissent bénéficier de toutes ces mesures.

Un autre volet a été le déploiement de diagnostics (numérique, écologique, financier) utiles pour évaluer la situation de leur entreprise et initier les changements qui s’imposent.

Lors de votre réélection en 2021, vous vous fixiez l’objectif principal de défendre et de pérenniser le modèle des CMA. Est-ce encore tenable avec les baisses régulières des taxes pour frais de chambre et la perte de certaines de vos prérogatives ?

C’est l’autre versant de mes priorités. Elle est interne au réseau et concerne les transformations que nous devons mettre en œuvre dès cette année. Les artisans ont des besoins importants, des attentes fortes. Et je suis intimement convaincu que notre réseau, en complémentarité avec les organisations professionnelles, est le seul à être capable d’y répondre. L’engagement qui est le mien c’est de répondre de façon pointue à cette demande tout en discutant avec le gouvernement.

Si on peut réfléchir à certaines économies, elles ne doivent pas se faire au détriment du service aux artisans. Surtout dans ce moment où ils ont plus que jamais besoin de nous.

Le statu quo comme l’immobilisme ne peuvent pas être des options. Ils ne sont de toute façon pas dans mon caractère.

"La ligne que je défends : maintien de la qualité du service aux artisans, transformation et repositionnement du réseau, mais aussi négociation avec le gouvernement pour que les objectifs soient atteignables."

Le ministère de l’Économie va présenter un projet de loi pour simplifier la vie des entreprises. Les artisans que nous interrogeons sont unanimes quant à leur ras-le-bol devant les complexités administratives. Quelle est votre position sur le sujet ?

Simplifier, c’est d’abord et avant tout ne pas complexifier. À ce titre, l’annonce confirmée d’un "test TPE-PME", qui permettra d’expérimenter concrètement au sein des entreprises toute nouvelle norme est une mesure de bon sens que nous défendons depuis longtemps.

Ensuite, il faut reconnaître que les précédents gouvernements ne sont pas non plus restés inactifs sur le sujet et qu’un certain nombre de correctifs ont été apportés.

Pour autant, et je pense par exemple au Guichet unique des formalités des entreprises, je dirais que c’est avec un succès discutable. Cela explique sans doute pourquoi, malgré des avancées, le sujet de la simplification a tendance à crisper alors qu’il devrait rassurer. Notamment quand la tentative de simplification se solde par une complexité plus grande.

"L’un des écueils serait de faire du numérique l’alpha et l’oméga de la simplification administrative. Or, nous le constatons, il y a aussi besoin de contacts humains pour expliquer et décrypter."

Le Guichet unique est à ce titre un exemple parlant qui, outre l’insatisfaction qu’il génère, constitue un risque pour la filière artisanale. Si nous ne savons plus qui est artisan, comment faire pour les contacter et les accompagner…

À l’heure où le gouvernement réfléchit à une nouvelle étape dans la simplification pour libérer le potentiel de croissance des entreprises nous répondons : oui, mais. Oui, nous sommes favorables à cette simplification. Mais en prenant le temps de se prémunir contre certains effets pervers. Le tout numérique en est un.

Je pense également à une ligne rouge qui serait de confondre la levée de complexités administratives qui s’imposent au chef d’entreprise et la qualification professionnelle requise pour exercer un métier. Cette qualification, c’est la garantie pour le consommateur d’avoir accès à des produits, des services, une qualité émanant d’un professionnel, d’un véritable artisan. On ne s’invente pas artisan on le devient en se formant.

Autre préoccupation majeure : la baisse des NPEC dans l’apprentissage. Avez-vous l’impression d’avoir été entendu par le gouvernement à qui vous avez remis vos préconisations ? Que les lignes peuvent encore bouger ?

Il le faut. Le sujet dépasse largement la question de l’outil de formation des chambres (je rappelle que l’artisanat a formé en 2022 plus de 200.000 jeunes, soit près d’un apprenti sur quatre).

Derrière ce sujet, c’est la capacité à pouvoir former à tous les métiers de l’artisanat qui est en jeu. Alors oui, je suis persuadé que les lignes doivent bouger. Je ne peux pas imaginer que le gouvernement reste sourd alors que le bien-fondé de cette alerte a été confirmé par France compétences.

Avec cette nouvelle baisse, 57% de nos formations deviennent déficitaires, tout en sachant que, pour certains métiers, nous formons jusqu’à 80% des jeunes. Dans ces conditions, qui pourra former demain aux métiers de l’artisanat ?

"Ce qui se joue, c’est tout simplement l’avenir de nos métiers. Sans apprentissage, il n’y a pas d’artisanat."

Il est urgent et vital que la concertation qui nous a été promise intervienne au plus vite et débouche sur les mesures concrètes pour sauver la rentrée 2024. Je le redis : ne cassons pas ce qui fonctionne et tient toutes ses promesses en matière d’insertion dans l’emploi.

Vous avez lancé en début de mandat des autodiagnostics pour accompagner les artisans dans les transitions imposées par l’époque (numérique, écologie…). Quels en sont les fruits ?

L’accélération de la transition écologique est un enjeu collectif majeur qui est devant nous. C’est aussi une opportunité pour les entreprises artisanales.

Avec "Performa Environnement", les artisans peuvent bénéficier d'un diagnostic individuel gratuit et d'un plan d'actions personnalisé pour accélérer leur transition écologique. Ils peuvent également être orientés vers différentes aides financières, notamment les aides tremplin de l’Ademe, et être accompagnés dans le montage de dossiers de financement pour appuyer leur projet.

Avec "Performa Numérique", ils peuvent tester gratuitement la maturité numérique de leur entreprise et bénéficier d’un plan d’actions sur mesure. Aujourd’hui chacun est conscient de l’enjeu que cela représente et 92% en sont satisfaits !

Qu’il s’agisse d’un "à côté" ou d’une activité principale, le statut de la micro-entreprise séduit énormément dans l’artisanat (65% des entreprises artisanales créées en 2022). Comment aider ces entreprises à pérenniser leur activité, voire à sortir de la précarité ?

Depuis sa création, nous considérons ce régime comme un tremplin pour se lancer et tester son activité. Raison pour laquelle nous pensons qu’il est important de le limiter dans la durée pour ceux qui en font une activité à temps complet.

"Les entreprises artisanales ont vocation à se développer, à créer de la valeur, à former des apprentis, à embaucher…"

C’est notre vision et nous avons d’ailleurs défendu l’idée qu’au bout de deux ou trois ans d’activité des mesures incitatives soient proposées pour favoriser ce basculement. Notre rôle est donc de faire de la pédagogie en mettant en avant les avantages d’autres statuts juridiques, plus protecteurs. Charge pour nous d’informer l’entrepreneur pour qu’il ait toutes les cartes en main pour réussir et développer son activité.

Prix de l’énergie, émeutes, inflation… Les entreprises artisanales ont été mises à mal ces dernières années, un message optimiste pour cette année qui démarre ?

L’artisanat est plébiscité par les Français. 82% accordent leur confiance aux artisans [selon le Baromètre de la confiance en politique OpinionWay pour le Cévipof, février 2024, NDLR].

Qualité, proximité, modernité, Fabriqué en France… Voilà ce qui caractérise dans l’esprit des Français nos 250 métiers. Des valeurs, des méthodes de travail, des produits et des services qui répondent à leurs aspirations.

Bien sûr, ces points positifs ne doivent pas nous faire oublier que les crises géopolitiques comme l’inflation constituent un frein à la consommation. Pour ma part, je suis et je reste optimiste.

À l’heure du développement de l’intelligence artificielle, je suis persuadé que l’intelligence de la main a de beaux jours devant elle. Et je compte également sur nos concitoyens pour traduire ces intentions dans les faits. Pour consommer local, pour soutenir leurs artisans, dans leurs quartiers, dans leurs villages. En 2024, nous comptons sur eux pour faire le choix d’une consommation durable et responsable : celle de l’artisanat.

Malgré le contexte difficile, il semble que l’artisanat soit un secteur attractif, qui ne cesse de progresser. En quoi votre réseau est à même d’accompagner ceux qui se lancent ?

L’artisanat attire les jeunes, les adultes en reconversion, les créateurs… L’an dernier il s’est créé une entreprise artisanale toutes les deux minutes. Mais derrière l’attractivité, notre objectif, c’est le développement et la pérennité.

Le réseau des CMA est justement là pour accompagner chacun dans son projet et lui permettre de réussir dans l’artisanat. C’est notre raison d’être. Nous accompagnons tous les ans 300.000 entreprises, à chaque étape de leur développement, pour leur simplifier la vie.

Un numéro vert unique et gratuit a été créé : le 3006. Pour répondre à toutes les questions que l’on peut se poser et obtenir une aide personnalisée.

Quels sujets porterez-vous en priorité auprès du gouvernement Attal ?

Le réseau des CMA entend être un partenaire attentif, efficace et écouté du gouvernement. En lien direct avec les territoires, relais des besoins des artisans, les CMA sont également les mieux placées pour assurer la mise en œuvre effective des politiques publiques voulues par l’État. Voilà pour ce qui concerne la méthode.

Pour ce qui concerne les mesures, j’ai eu l’occasion de l’évoquer. Favoriser le plein-emploi et le Fabriqué en France, participer au développement des compétences et à la formation professionnelle, parvenir au million d’apprentis ou encore libérer le potentiel de croissance des entreprises grâce à la simplification administrative sans remettre en cause la qualification professionnelle, sont autant d’objectifs pour lesquels nous sommes prêts à nous engager.

Pour autant, il est urgent de revoir la méthode et les effets produits par deux réformes qui mettent en risque notre filière : le Guichet unique des formalités des entreprises et la baisse du financement de l’apprentissage. Deux sujets aux répercussions très concrètes et potentiellement désastreuses pour l'artisanat. Ces deux sujets nécessitent une concertation dans les plus brefs délais. C’est ce que je défends pour parvenir rapidement à des solutions concrètes, à la hauteur des enjeux.

À l’heure des réflexions sur la simplification, et alors qu’Europe rime encore trop souvent avec normes et contraintes, je défendrai également ce sujet à la source. Qu’il s’agisse des instances où l’on siège ou encore auprès des candidats à l’élection européenne de juin prochain. Le réseau sera force de propositions et adressera aux candidats une série de mesures concrètes pour les sensibiliser aux atouts du secteur et les appeler à se positionner en faveur d’une véritable politique artisanale européenne.

Et vous, à mi-mandat, quel est votre état d’esprit ?

D’abord et avant tout je pense aux artisans. À leurs difficultés, à leurs besoins et au fait de leur être utile au quotidien. Je suis persuadé de l’attractivité de notre secteur comme de l’intérêt stratégique du réseau.

J’aborde donc cette année 2024 avec optimisme, réalisme et volonté. Optimisme, car je crois en l’utilité de notre réseau. Réalisme, car je sais pouvoir compter sur mes collègues, pour poursuivre les efforts de transformation nécessaires et relever les défis qui nous attendent. Volonté enfin, car cette transformation devra s’opérer et se concrétiser, dans un moment exigeant, où nos ressortissants comptent plus que jamais sur nous.

Préparer l’avenir, garantir l’avenir de notre filière passe par les combats que j’ai évoqués mais il me semble essentiel de ne pas oublier la transmission-reprise d’entreprise. On estime à 300.000 celles à reprendre dans les dix ans à venir, un véritable enjeu pour le secteur et la pérennité de nos entreprises. Nous en faisons l’une de nos priorités.

Je sais la force de l’artisanat pour notre économie, nos territoires et notre pays. Je connais la capacité du réseau à s’adapter pour toujours mieux appuyer le secteur dans son développement. 2024 est pour moi l’année de l’ambition, de l’action et du concret pour ces différents chantiers.

Plus d’infos : www.artisanat.fr - Tél. : 3006

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