Opinion

"Dans le monde, il y a un ADN commun à tous les artisans"

Le 22/01/2018
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
La Fabrique nomade accompagne les migrants ou réfugiés – en situation légale – possédant une expérience significative dans l’artisanat afin de leur trouver un emploi qui corresponde à leur savoir-faire et à ce qui les fait vibrer. Rencontre avec celle qui croit que la dignité de l’homme passe notamment par la reconnaissance de sa main.
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Ines Mesmar Fabrique NomadeInes Mesmar, fondatrice de l'association La Fabrique nomade.

Quel a été le déclic de la Fabrique nomade ?

Un jour, au hasard d’une conversation, j’ai découvert que ma mère avait eu un métier dont elle ne m’avait jamais parlé : brodeuse dans la médina de Tunis. J’ai eu envie de comprendre si l’abandon de son métier relevait de sa propre histoire ou était celle d’autres personnes. J’ai enquêté et recensé six freins rencontrés par les réfugiés ou migrants : la langue, la non-reconnaissance de leurs compétences professionnelles, l’absence de réseau, la méconnaissance du marché (travail, fonctionnement des entreprises…), la dévalorisation de soi (amplifiée par le fait qu’on les envoie vers des secteurs en tension non qualifiés) et enfin la déqualification.

Que fait la Fabrique nomade en réponse à tout cela ?

Notre accompagnement lève ces freins à travers un programme de six mois. Nos artisans sont remis en confiance via des ateliers de pratique artisanale, qu’ils animent ; nous leur faisons découvrir l’artisanat d’art (visites de musées, etc.) et le monde du travail (rencontres d’entreprises artisanales) ; nous mettons en place des collaborations professionnelles où ils sont en binôme avec un artisan ou un designer français dans le but de co-créer un objet vitrine de leur savoir-faire. La collection ainsi née les promeut lors de différentes manifestations (Journées européennes des métiers d’art, etc.).

Quel est votre bilan ?

Nous avons accompagné trois artisans en 2017, année pilote ; ils ont aujourd’hui chacun un emploi en adéquation avec leurs compétences. Par exemple, Abou, stucateur et staffeur tchétchène, ex-agent de sécurité, restaure un hôtel particulier classé monument historique. Notre objectif pour 2018 est d’en accompagner douze. Nous voudrions aussi créer la première certification pour les artisans réfugiés/migrants, en partant des référentiels des métiers français et en y ajoutant leurs spécificités.

Y a-t-il une parenté, au-delà des pays, entre les professionnels ?

Oui, il y a un ADN commun entre les artisans. Nous avons un groupe d’artisans bénévoles (ébéniste…) et en recherchons (notamment pour l’évaluation technique des savoir-faire et l’accueil en entreprise). Les échanges sont très riches. Par exemple, un réfugié est venu avec sa machine à broderie Cornely ; l’entreprise artisanale française qui l’a formé peut proposer des projets avec cette technique ! Autre exemple, pour notre collection, le savoir-faire du stuc – une technique de décoration intérieure – a été utilisé par un binôme pour réaliser un petit objet, ce qui a donné lieu au préalable à une réflexion de transposition du savoir-faire et à son adaptation au but recherché.

Le parcours d'Inès Mesmar

2005 : Fin de ses études d’ethnologie/anthropologie.

2010 : Chargée de développer des programmes de formation professionnelle (groupe Le Moniteur).

2015 : Découverte du métier jadis exercé par sa mère.

2016 : En janvier, création de l’association La Fabrique nomade.

2017 : La première collection d’objets fabriqués par des artisans de La Fabrique nomade voit le jour.

http://lafabriquenomade.com / Facebook  

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