Souffrance au travail

Marie Pezé : "l'autonomie de l'artisan est un facteur qui le protège"

Le 25/04/2018
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
Le travail peut être source de souffrances variées que l’artisan, cheville ouvrière de lui-même, doit pouvoir appréhender et gérer. Pour cela, un seul impératif : garder le recul nécessaire pour ne pas se laisser submerger. Décryptage avec Marie Pezé, créatrice du dispositif de soutien "Souffrance et Travail".
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Marie Pezé psychologueMarie Pezé, docteur en psychologie et ancienne experte judiciaire.

Quelles sont les forces de l’artisan ?
Bien souvent, un salarié n’a pas la main sur son rythme, ses moyens, etc. La subordination est un facteur aggravant de souffrance au travail. L’autonomie de l’artisan est un facteur qui le protège. C’est lui qui dirige et organise les choses comme il veut. Cela peut lui donner des ailes. Son entreprise est sa création ; il aime ce qu’il fait, il l’a choisi, il vit donc un épanouissement identitaire certain ; il doit investir son travail pour tenir, il se donne du mal ; énergie, financement, dynamisme… dépendent de lui. Ce qui fait le génie français (le bel ouvrage) s’exprime mieux sous la forme de l’artisanat que sous celle d’une entreprise du CAC 40.

Quelles sont ses faiblesses ?
Les enjeux d’une entreprise reposent sur les épaules d’une seule personne au lieu d’une centaine de salariés. Positifs et négatifs, les enjeux sont ainsi démultipliés. Quand ça va mal, cela peut constituer un piège redoutable. Car c’est tout le navire qui coule, toute l’identité de l’artisan est engagée (lui, son travail, etc.). L’artisan travaille aussi en famille : c’est extra quand tout va bien, catastrophique quand ça va moins bien. De plus, la posture de l’artisan vis-à-vis du travail est différente car, à la différence du salarié, il est socialement très mal couvert. On voit des artisans blessés qui retournent travailler à la sortie du bloc opératoire car la survie de l’entreprise est en jeu. Autre facteur aggravant de l’artisan quand ça ne va pas : son isolement.

Quels sont les signes d’alerte à prendre en compte ?
Avec un problème lié uniquement au travail, si on se met en arrêt, on récupère. Si ce n’est pas le cas, attention. Voici trois signaux auxquels il faut être attentif : une fatigue que le repos ne repose plus, le recours à des produits pour tenir (alcool, médicaments…), la perte du goût pour le travail.

Quelles solutions sont et/ou seraient envisageables ?
Déjà, il ne faut pas rester seul, il faut rencontrer des collègues via des syndicats, groupements, réunions… Un "artisan de transition" pourrait aussi aider le chef d’entreprise qui patauge ; cela se fait de façon conviviale et fraternelle mais il faudrait systématiser cela. Il faudrait aussi moins d’administratif ! La beauté du travail de l’artisan et sa créativité sont entravées par la lourdeur administrative du pays, un système contrôleur et vérificateur… Enfin, le réseau de nos 130 consultations "Souffrance et Travail" sont là pour vous aider. Nous pouvons vous accompagner et mettre en route les solutions nécessaires par rapport aux spécificités propres de votre travail.

Marie Pezé : les dates-clefs

1995 : Création de la première consultation « Souffrance et Travail » à l’hôpital de Nanterre
2008 : Parution de Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés (collection Champs, 
chez Flammarion)
2008 : Création du certificat de spécialisation en psychopathologie du travail, sous la direction de Christophe Dejours
2011 : Création de l’association DCTH (Diffusion des connaissances sur le travail humain) et du site Internet souffrance-et-travail.com
2017 : Parution du Burn-out pour les Nuls (Éditions First)

www.souffrance-et-travail.com

 

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