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Quels sont les bienfaits des espaces partagés ?

Le 18/12/2023
par Isabelle Flayeux
Qui ne serait pas attiré par un projet qui limite les coûts, fait gagner en visibilité et en fidélisation, permet de bénéficier de l’émulation collective et de tester ses produits ? La dynamique collaborative présente bon nombre d’avantages pour les artisans quelle que soit la maturité de leur activité. Au-delà d’une mutualisation des moyens, les espaces partagés favorisent l’échange, le partage et l’innovation.
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Émilie Schiele, créatrice d'illustrations à l’aquarelle et de bijoux en résine avec des fleurs pressées, a ouvert une boutique partagée avec cinq entrepreneuses en août dernier au centre-ville d’Orléans.

L’Île-de-France compte environ 6.000 artisans d’art. La CMA Île-de-France - Val d’Oise (CMA 95) a très tôt engagé des actions pour aider ces métiers, symboles de richesse culturelle et économique.

"Tous les ans depuis 2009, nos locaux accueillent le Salon d’artisanat d’art et de savoir-faire, Noël avant l’heure. 60 exposants s’y retrouvent 4 jours en novembre et présentent leurs créations. Au préalable, nous travaillons ensemble sur l’aménagement du lieu et chacun joue le jeu des répétitions", présente Grace Silvestre.

Pour chacun de ses projets, la conseillère économique en charge des métiers d’art à la CMA 95 mise sur le collaboratif et s’appuie sur un réseau. "Notre Club métiers d’art & savoir-faire prône le partage, l’échange et propose des formations pour booster l’activité des artisans et créer une cohésion."

Juste après l’ouverture d’une première boutique éphémère partagée en face du lac à Enghien-les-Bains en 2017, la CMA 95 négocie un partenariat avec Les 3 Fontaines à Cergy. "Être visible est essentiel. Une à deux fois par an, nous disposons dans ce centre commercial d’un espace de vente de 100 à 200 m2, pour quelques semaines ou mois. Les artisans y sont en contact direct avec les clients qui découvrent leur savoir-faire."

"Se confronter ainsi oblige à adopter une posture de chef d’entreprise. Les exposants sont sélectionnés pour leur sensibilité au collectif et suivent des formations sur leur présentation, leur univers et leurs prix. Si vendre en boutique est la finalité, cela permet aussi d’apprendre à agencer un espace et de tester des produits." 

La chambre consulaire gère également depuis quatre ans le concept-store "C’est vrai !" qui occupe 200 m2 en centre-ville d’Enghien-les-Bains. "Les 20 à 30 exposants changent régulièrement. La vente est une vraie école de l’apprentissage qui met en avant le savoir-faire. Avoir un bon produit ne suffit pas, il faut adopter la bonne attitude. Le fait d’être en groupe stimule et fait évoluer très rapidement. Certains volent ensuite de leurs propres ailes."

Artisanes by Jude N Lou, bien plus qu’une boutique partagée

Sous son identité d’artiste Jude N Lou, Émilie Schiele crée des illustrations à l’aquarelle et des bijoux en résine avec des fleurs pressées. Le 16 août dernier, la jeune femme ouvre une boutique partagée au centre-ville d’Orléans (45).

"Depuis mon installation en 2021, j’ai toujours eu envie d’avoir un point de vente et de mettre en place un collectif. Même si j’aime travailler seule, j’apprécie d'être entourée et de partager des avis." 

Au fil des marchés auxquels elle participe, Émilie Schiele rencontre plusieurs créatrices et monte petit à petit un réseau d’artisanes : "Juste après une expérience positive de boutique éphémère commune en mars-avril, j’ai trouvé le local pour la boutique. Naturellement, j’ai eu envie de me lancer dans cette aventure avec elles en leur proposant un dépôt-vente."

Dans cette boutique de 20 m2 aux objets uniques, les six créatrices disposent chacune d’un espace personnel où elles laissent libre cours à leur créativité. "L’idée est qu’elles se sentent chez elles et qu’elles soient actives dans le collectif en termes d’événements et de communication." 

Si Émilie Schiele se sent désormais moins seule, elle apprécie le changement de rythme et une certaine stabilité. "Faire les marchés est très difficile, et ce d’autant plus que mes produits sont fragiles donc pas vraiment adaptés à ce mode de commercialisation. J’y gagne en équilibre autant qu’en termes de vente et de fidélisation des clients. Sans oublier l’aspect visibilité car chacune oriente sa communauté Instagram vers le compte de la boutique partagée. Les clients savent ainsi où nous retrouver et découvrent les univers des unes et des autres. Ce qui est une force."

Une mutualisation globale

Inscrit au Club métiers d’art & savoir-faire de la CMA 95, Julien Creton fabrique des objets à partir de bois de palette. Porté par l’envie de rendre les savoir-faire plus accessibles, il crée, avec d’autres artisans, "Poésie des savoir-faire" début 2022, une association fondée sur des valeurs humaines de bienveillance, de partage et d’humilité.

"Issu du milieu associatif et de la musique, j’ai jugé intéressant de nous constituer en groupe pour pouvoir mutualiser les moyens, les coûts, les savoirs et les savoir-faire mais aussi la transmission... afin d’assurer une dynamique de développement", confie l’artisan.

L’association compte plus de 50 adhérents, dont 40 artisans, tous passionnés d’artisanat, d’art et de loisirs créatifs. Installé depuis février dernier à Pontoise dans un local baptisé Le lieu, le collectif dispose d’un showroom, participe à des Salons, organise des ateliers créatifs, de la découverte à la professionnalisation.

Poésie des Savoir-faire accompagne aussi les artisans dans leur développement, en complémentarité avec la CMA.

"Nos formations sont tournées vers le terrain. Pour les expositions par exemple, notre scénographe fabrique avec les artisans des supports qui correspondent à leurs produits et qui sont en rapport avec l’image qu’ils veulent dégager."

Le samedi matin, l’association accueille et conseille les membres intéressés par un espace d’exposition-vente sur le marché de Pontoise. S’ils sont peu nombreux à bénéficier d’un atelier au sein du Lieu, les adhérents ont la possibilité de venir travailler seuls ou avec d’autres.

"Nous apportons cette dimension humaine et le sur-mesure. Les artisans trouvent ici un accompagnement à la carte qui va de l’écoute au prêt de matériel en passant par le partage d’expériences et de savoir-faire. C’est une mutualisation globale et une collaboration permanente."

Et du côté des métiers de bouche ?

Inspirés des modèles présents à l’étranger, les food courts et les halles gourmandes se multiplient dans l’Hexagone.

Si le concept est à la mode, le principe a toujours existé, selon Éric Foucaud, fondateur du cabinet Elan CHD : "La réunion de talents artistiques mais aussi culinaires, qui permet de créer une sorte de grand marché, se retrouve depuis longtemps au moment des fêtes de Noël notamment. Réponse à un besoin de trafic, le phénomène food court est une destination pour se nourrir et se rassembler uniquement.

Ces lieux facilitent la vie aux gens en leur donnant un espace concentré dans lequel ils sont libres de choisir et de consommer ensuite avec d’autres, en toute convivialité.

De son côté, la halle gourmande est vraiment l’expression des talents d’artisans des métiers de bouche avec la possibilité d’emporter aussi des produits non travaillés." 

Pour une question d’optimisation de moyens, il paraît naturel de vouloir s’associer à d’autres. Reste à savoir comment. "La démarche oblige chaque artisan à se reposer la question de son ADN et à chercher une mission potentiellement commune et complémentaire. Je trouve vertueux le fait d’être amené à prendre conscience de la valeur de son talent et de pouvoir l’exprimer de manière différente."

"La mise en commun est source d’innovation par le produit ou par les pratiques et crée une véritable émulation. C’est un tremplin. Nous entrons dans un avenir qui a vraiment besoin du collaboratif. »

Biltoki : des lieux de vie au cœur des villes

L’histoire Biltoki commence au Pays basque en 2009 à partir d’une idée simple inspirée des marchés d’antan : "Créer des lieux de vie, en plein cœur des villes, où les habitants pourraient se retrouver, discuter et partager de bons moments, tout en y trouvant les meilleurs produits, issus du savoir-faire d’artisans et de producteurs locaux." Aujourd’hui, la

France compte 9 halles Biltoki, d’autres sont en projet. La première a ouvert à Anglet (64) en 2015. Trois frères, Romain, Bixente et Xabi Alaman, ainsi que leur ami d’enfance, Jérôme Lesparre, sont à l’origine de ce modèle innovant qui mêle gastronomie, vivre-ensemble et ancrage territorial.

"Biltoki est avant tout une aventure collective, dans laquelle nous embarquons une multitude de commerçants indépendants qui adhèrent à un projet commun. Ce qui nous anime, c’est la rencontre avec ces femmes et ces hommes passionnés qui font vivre nos halles", confie Bixente Alaman, cofondateur de Biltoki.

De la construction ou de la rénovation du bâtiment jusqu’à l’animation du lieu, les halles sont gérées de A à Z par les équipes Biltoki.

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