Opération Artisan d’un jour

Le jour où… j’ai fabriqué des fèves

Le 19/03/2018
par Julie Clessienne
C’est l’un des moments forts de la Semaine nationale de l’artisanat : l’opération Artisan d’un jour. Ou comment une personnalité issue du monde politique ou plus généralement de la société civile se prête, le temps de quelques heures, au jeu de l’immersion dans une entreprise artisanale. Cette année, des journalistes du Monde des Artisans ont eu le plaisir de participer. Alors, direction la Nièvre, dans la Faïencerie d’art de Clamecy, spécialisée dans la fabrication de fèves.
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Julie Clessienne, journaliste du Monde des Artisans, à gauche, a été accueillie chaleureusement dans la Faïencerie d'art de Clamecy par Alexandre Colas, au centre, et son équipe dont Florence, à droite.

Arriver à Clamecy, aux confins de l’Auxerrois et du Nivernais, ça se mérite (surtout quand on part de Metz en Clio capricieuse). Au cœur de la Bourgogne, cette jolie cité médiévale de 4 000 habitants abrite le dernier fabricant de fèves artisanales de France : la Faïencerie Colas, une institution ici, et bien au-delà, comme je vais vite l’apprendre.

L’accueil est assuré par les petits-enfants du fondateur : Élodie, pétillante, en charge de la dimension marketing-communication, et Alexandre, passionné intarissable, aux manettes de la création et de la fabrication. "Notre grand-père a repris l’activité en 1937. Elle existait depuis 1919. Nos parents ont pris sa suite. C’est notre père qui a senti le vent tourner dans les années 80 et qui a réintroduit les fèves en céramique dans les galettes des rois (elles étaient alors en plastique… et chinoises). Il a aussi développé le concept des collections de fèves. Nous perpétuons la tradition mais dans l’ère du XXIe siècle en y apportant ce qu’il faut d’innovation et en développant nos moyens de communication (réseaux sociaux, site marchand…)", m’expliquent-ils.

Passés ce rappel historique et la visite de la boutique, notre petit trio se met en route vers les ateliers, "de l’autre côté du pont, dans le faubourg de Bethléem", sourit Élodie. À peine le temps de me figurer que nous avons tout l’air de Rois Mages des temps modernes que me voici avec mon tablier blanc, prête à mettre la main à la pâte. Ou plutôt à la barbotine, l’argile liquide, point de départ de toute fève artisanale qui se respecte. J’emboîte le pas d’Alexandre dans les méandres des ateliers, "restés dans leur jus depuis près de cent ans", pour rejoindre mon premier plan de travail.

C’est ici que chaque modèle est préalablement sculpté à la main, dans une boule d’argile, avant d’être reproduit pour créer les moules de production. Un travail d’orfèvre avec des outils très spécifiques, "les mêmes que ceux de mon grand-père".

À moi d'entrer en action ! Florence, délicate "petite main" de l’atelier, entame la démonstration et fait couler la barbotine, avec une précision millimétrée, dans les moules. La pression est forte pour moi qui n’ai jamais réussi à effectuer la même opération proprement dans des moules à pâtisserie… Mission réussie !

Après plusieurs heures de séchage, ces fèves "crues" seront démoulées, passées au crible d’yeux experts qui en corrigeront les petites imperfections. Je me prête à cette manipulation avec précaution. La tâche paraîtrait presque apaisante si Florence n’était pas là pour me rappeler qu’il ne fallait jamais perdre de vue la cadence et la productivité. Pas moins de 400000 fèves sortent de ces ateliers tous les ans…

Elles sont ensuite envoyées bien au chaud, à 1 000 degrés pour un premier passage au four. Étant donné qu’il faut compter 36 heures pour un cycle de cuisson (qui comprend des phases de montée et de descente en température très longues pour éviter les chocs thermiques), et que je participe à "Artisan d’UN jour", il va sans dire que je ne saurai jamais ce que sont devenues les fèves que j’ai réalisées si délicatement. Tristesse.

Étape suivante et non des moindres : la décoration. Elles sont trois à s’activer consciencieusement dans leur atelier. Si certaines créations haut de gamme sont toujours peintes à la main, avec des techniques empruntées au travail du porcelainier (fait unique en France pour un faïencier), la collection du jour est décorée à la feuille (un principe de décalcomanie fabriquée par sérigraphie spécialement pour les ateliers Colas).

Les trois jeunes femmes enchaînent les pièces avec une déconcertante facilité. Cela devrait bien se passer pour moi… Mais que nenni ! Ne sous-estimez jamais l’ennemi : la petite feuille humide colle au doigt, bouge au moindre à-coup, crée des bulles d’air. Je fais une pièce – mal – ma voisine six. Humiliation…

Je tente de sauver mon honneur avec la peinture à la main. Sans grand succès. Le talent, en fait, ne s’improvise pas. Le savoir-faire non plus, surtout en un jour…

Il y aurait encore tant à dire sur cette entreprise, sur ceux qui la font vivre tous les jours avec passion et humilité, sur les étapes suivantes, l’émaillage, les longues cuissons savamment orchestrées, les cadences de production lissées avec intelligence au gré de la saisonnalité, la rigueur de ce métier, les connaissances quasi scientifiques et la fibre artistique qu’il suppose, le dévouement, la patience… Surtout la patience ! Mais, tout cela, les artisans le savent déjà alors que moi, je le mesure mieux aujourd’hui.

www.fevesdeclamecy.com

Un grand merci à Élodie et Alexandre Colas pour leur accueil si chaleureux et pour m’avoir offert de leur temps sans compter, alors qu’il est si précieux, à l'APCMA et à Élodie Perez de la CMA 58 pour avoir orchestré cette journée, à Florence et toute l’équipe de la Faïencerie Colas pour leur bienveillance.

==> Découvrez aussi l'expérience de ma collègue Samira Hamiche, luthière d'un jour !

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