Philippe Etchebest

"Avec mon apprenti, la notion de partage est évidente !"

Le 28/04/2017
par Propos recueillis par Julie Clessienne
Honoré par ses pairs en tant que chef (MOF depuis 2000), adoubé par le public en tant que jury charismatique d’émissions culinaires sur M6, Philippe Etchebest – le regard et la carrure les plus impressionnants du PAF – nous livre la recette d’une bonne transmission des savoir-faire.
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Le chef cuisinier Philippe Etchebest

Le Monde des Artisans : Quels souvenirs gardez-vous de vos premières années de cuisinier, quand vous appreniez le métier ?

Philippe Etchebest : J’ai fait pour ma part un BTH (Brevet de technicien hôtelier) sur trois ans. Ça se passait à l’école hôtelière où j’ai appris toutes les bases du métier, puis j’effectuais des stages de salle et de cuisine, souvent l’été, où j’étais plongé dans le feu de l’action. À l’époque, ce diplôme, qui était équivalent au bac, nous offrait une ouverture plus large sur le métier. On apprenait la gestion, l’économie… On était mieux formé à l’entreprenariat. Je n’en garde que des bons souvenirs… D’ailleurs, si les contraintes de la profession m’avaient dégoûtées, je ne serais plus là, aujourd’hui, 35 ans après ! Aujourd’hui, le métier attire beaucoup grâce à la visibilité et la valeur qu’on lui a donné mais la réalité fait revoir la position de certains jeunes, c’est normal.

LMA : Objectif Top Chef a donné une vraie visibilité aux apprentis, c’était aussi le but pour vous quand vous avez accepté d’en prendre la présentation ?

P. E. : Quand on m’a proposé cette émission, j’ai accepté tout de suite ! En tant que chef et MOF, la transmission est vraiment essentielle pour moi. Ça a aussi été l’occasion de rencontrer des jeunes absolument incroyables, avec une ouverture d’esprit et une créativité débordante… Et avec un niveau bien plus élevé que celui que j’avais à leur âge ! Les jeunes ont désormais accès à plein de recettes et de techniques avec Internet, beaucoup d’émissions parlent de cuisine et, forcément, ça les influence. Mais l’important, c’est surtout de durer dans le métier d’où l’importance de bien leur inculquer les bases !

LMA : Vous avez d’ailleurs embauché d’anciens candidats de l’émission dans votre restaurant bordelais ?

P. E. : Oui, trois ! Fondamentalement, je ne fais pas de la télé pour faire de la télé. Je le fais avec beaucoup de sincérité et d’engagement et ça me paraît donc naturel d’aider ces jeunes au-delà de l’émission si j’en ai l’occasion. Je ne perds jamais de vue la réalité des choses et la vraie vie !

LMA : Vous avez conscience de contribuer à changer la perception de ce métier jugé avant comme contraignant ?

P. E. : Avant, la cuisine, c’était vraiment une voie de garage, un choix par défaut. Aujourd’hui, le chef est devenu une vraie star ! Mais attention, beaucoup de jeunes font l’amalgame entre télé et réalité. Ces émissions peuvent bien sûr servir de tremplin à certains mais ils ne représentent pas la majorité.

LMA : Comment sont accueillis les apprentis dans votre restaurant ?

P. E. : En ce moment, j’en ai un : Léo. Nous sommes en train de le préparer au concours de Meilleur apprenti de France (MAF). D’ailleurs, je vais goûter un des plats qu’il va présenter au concours ce soir ! Il est très volontaire et bien encadré par mon équipe. Ça se passe très bien ! Mais je suis conscient que si j’ai embauché un apprenti, c’est aussi parce que je peux me le permettre…

LMA : C’est-à-dire ? Trouvez-vous que ce système présente des failles, à l’instar de Thierry Marx qui a ouvert sa propre école de cuisine** ?

P. E. : Je trouve que l’alternance fonctionne bien. C’est essentiel pour le jeune de voir les deux facettes : l’école avec les enseignements généraux si primordiaux, comme le français, les maths ou encore les langues, et le travail sur le terrain. En revanche, il faudrait donner plus de moyen aux entreprises car, au final, un apprenti leur coûte autant qu’un employé alors qu’il est moins présent. Je peux donc comprendre que certains chefs d’entreprise soient réticents à embaucher. En plus, un apprenti n’est pas là pour remplacer un employé ou un commis, c’est une vraie responsabilité ! Il faut avoir les capacités de bien transmettre son savoir-faire, d’être pédagogue. Ça demande du temps et de l’investissement. Si un restaurateur ne joue pas le jeu, cela peut dégoûter certains jeunes du métier, alors que pour persévérer, il faut justement être bien accompagné.

LMA : Et l’apprenti vous apporte aussi quelque chose en retour ?

P. E. : Bien sûr ! Déjà, une vraie satisfaction quand on le voit réussir et obtenir son diplôme ! Ensuite, comme je le disais, les jeunes sont très créatifs. Par exemple, Léo, notre apprenti, fait des essais, nous fait goûter, apporte ses idées et donc sa pierre à l’édifice. Mais pour moi, cette notion de partage est vraiment évidente. Ce ne sont même pas des questions que je me pose d’ailleurs… C’est normal, la base. Comme de bien choisir ses produits et de savoir les cuire en fait !

LMA : Vous êtes aussi un grand sportif. Des similitudes entre une équipe de rugby et une brigade de cuisine ?

P. E. : Evidemment ! L’esprit de partage et d’entraide, la motivation… La cuisine, c’est vraiment un esprit d’équipe, tous différents et tous uniques. On prend le meilleur de chacun pour avancer, pour sortir de super plats dans le bon tempo. Et surtout, c’est d’abord savoir se faire plaisir. Et le plaisir, c’est contagieux !


* Paysage audiovisuel français
** Le chef Thierry Marx a ouvert en 2012 le centre de formation aux métiers de la restauration "Cuisine mode d’emploi(s)" dans le XXe arrondissement de Paris, qui permet d’obtenir un CQP en douze semaines seulement.

==> Retrouvez cet article dans notre numéro de mai-juin

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