Décryptage

Commande publique : les craintes et les espoirs du BTP

Le 15/06/2021
par Sophie de Courtivron
Du fait de la crise, la commande publique a chuté de 18 % en 2020, entraînant une baisse substantielle de 25% pour le secteur des travaux. Depuis la fin de l’année, les indicateurs redémarrent. Quelles en sont les causes ? Qu’est-ce que cela augure pour le BTP ? État des lieux, mi-figue mi-raisin.
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En 2020, les collectivités territoriales (Régions, Départements, EPCI, communes…) ont été frappées par deux éléments "paralysants" quant à leurs dépenses :

  • la crise sanitaire, faisant émerger de nouvelles priorités,
  • les élections municipales, qui entraînent toujours une baisse de la commande publique en raison du changement (ou non) des équipes.

Le report du deuxième tour a encore plus retardé la mise en place de ces dernières, donc la relance des commissions, des projets… 

"La désorganisation à tous les niveaux a généré une baisse des appels d’offres et des permis de construire de 40 %", constate chez lui Julien Rey, président de la Fédération des BTP des Alpes-de-Haute-Provence.

Cette sidération passée, l’élan vital semble avoir repris ses droits.

Renaissance et pénuries

"Nous avons constaté un vrai effort de rattrapage post-Covid à la fin de l’année », observe Sébastien Miossec, président délégué de l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) et président de Quimperlé Communauté.

En effet, les achats publics réalisés aux troisième et quatrième trimestres 2020 sont équivalents (2017), voire supérieurs aux achats réalisés sur les derniers trimestres des autres années du précédent mandat (2014-2020)2.

Dans le BTP, l’optimisme est revenu côté entreprises avec un boom des commandes privées (demande forte des particuliers ayant passé beaucoup de temps chez eux, explosion des transactions immobilières…).

Une frénésie qui a fait émerger un certain nombre de problèmes pouvant impacter la commande publique, plus longue à la détente, une fois la phase des reports passée. Les entreprises font en effet face à une pénurie de matériaux, et donc à une hausse des prix.

"Le coût de certains matériaux ainsi que celui de la réorganisation des chantiers (contraintes sanitaires et protection des salariés) nous inquiètent quant au coût de nos projets et marchés publics", Sébastien Miossec, président délégué de l'AdCF

"Sur des marchés signés à la fin de l’année de façon ferme et définitive, nos marges vont fondre comme neige au soleil", déplore Lucie Amelineau, présidente de la Capeb Vendée.

Cette pénurie, dont la durée est imprévisible à ce stade, peut en outre perturber les chantiers, qui se font dans un certain ordre, et les bloquer. Sans compter que les acheteurs publics ne sont pas égaux face au contexte actuel.

Aides limitées

"La commande publique et le BTP sont liés aux recettes financières des collectivités", rappelle Sébastien Miossec. Or "les intercommunalités, qui tirent leurs revenus des entreprises (cotisation foncière des entreprises, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, etc.), sont davantage impactées par la crise que les communes dont la fiscalité vient de la taxe foncière (sauf pour les très touristiques)." 

Si certaines entreprises connaissent plus tard des difficultés (à rembourser leur PGE, etc.), par répercussion, certaines collectivités n’auront pas les moyens financiers de participer à la relance en 2021, et même après.

Certes, les communes et intercommunalités bénéficient encore de l’augmentation de la DSIL (Dotation de soutien à l’investissement local) en 2021, mais la relance est affaire de plusieurs années.

"L’État doit prévoir des dispositifs de secours ponctuels pour sauver les collectivités très fragilisées par la crise et qui ne peuvent plus s’autofinancer", précise Sébastien Miossec, qui salue par ailleurs le CRTE (Contrat de relance et de transition écologique), proposé aux collectivités territoriales et d’une durée de six ans.

Une inscription des aides dans le temps est aussi demandée par les entreprises.

"Pourquoi ne pas pérenniser les aides pour les jeunes ? On peut se former tout au long de notre vie dans le bâtiment, et nous manquons cruellement de main-d’œuvre", suggère un artisan du bâtiment.

Quant aux 100 milliards d’euros du Plan de relance 2020-2022, ils pourraient avoir du mal à atteindre les tréfonds de la France…

Freins administratifs

"Certaines de nos communes ne sont tout simplement pas structurées sur le plan des ressources humaines pour répondre aux appels d’offres du Plan de relance du Gouvernement", pose Julien Rey.

Pour Gil Vauquelin, directeur du plan de relance Transition écologique et énergétique à la Banque des Territoires, "les petites collectivités locales qui ne peuvent pas avoir l’ingénierie doivent se tourner vers l’intercommunalité qui en dispose, mais ne le font pas toujours. Nous pouvons les aider avec nos prêts, nous les incitons donc à se regrouper et co-finançons l’ingénierie".

La bureaucratie touche aussi les entreprises du bâtiment, que les exigences sociales et environnementales – normes et clauses des marchés – entravent.

"S’il faut tant d’heures de clause sociale sur tel lot, c’est très compliqué à mettre en place pour une TPE. Nous demandons donc que les apprentis soient inclus dans la clause sociale d’insertion, car c’est bien de cela qu’il s’agit", illustre Lucie Amelineau.

Pareil pour les normes, frisant parfois l’inutile. "Sur les chantiers HQE, la traçabilité des fournisseurs est demandée mais nous n’avons pas attendu ces obligations pour travailler avec les fournisseurs qui sont à côté de chez nous…" 

Le chemin écologique que tout le monde souhaite prendre (projet de loi Climat et résilience…) ne doit ainsi pas asservir les TPME et rester balisé (normes ou labels) dans les limites du raisonnable… Avec plus de concertation peut-être ?

Signaux porteurs ?

"La commande publique a toute sa place à prendre dans le Plan de relance", martelait en mai dernier Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, lors de la présentation d’un guide actualisé sur les marchés publics, à destination des acheteurs et vendeurs.

"Les milliards d’euros qui sont là doivent toucher artisans et TPE", insistait Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises.

Pour cela, rappelons qu’avec la loi ASAP (Loi d’accélération et simplification de l’action publique - décembre 2020), tous les marchés globaux doivent réserver une part minimale de 10 % de leur exécution à des PME ou à des artisans.

La transition sociale et environnementale tient une place importante dans le Plan de relance (30 Mds d’euros pour la transition écologique) : rénovation et construction sont des enjeux majeurs.

"L’État veut relancer la construction de logements ; en mars dernier, le ministère du Logement et les bailleurs sociaux ont établi un protocole pour soutenir la construction de logements sociaux et remonter en 2021-2022 à 250.000 logements financés (il y en avait 80 000 en 2020)", pointe Gil Vauquelin.

La Banque des Territoires accompagne les collectivités locales (à hauteur de 20 Mds d’euros) via différents outils (apport d’ingénierie fine pour les collectivités, prêts longs, fonds propres), notamment sur l’axe rénovation du logement social et des bâtiments des collectivités locales.

"Derrière le redémarrage de la construction de logements, il y a la transition écologique. On ne peut plus consommer le foncier comme avant. Cela passera par la démolition, la dépollution, la reconversion des friches. Donc la préparation de projets plus complexes pour les collectivités locales. Les dispositifs d’incitation seront de plus en plus liés aux gains énergétiques et écologiques des rénovations effectuées." 

Pour les entreprises, cela implique "un pas à franchir en termes de coordination des collaborations croisées sur les chantiers, et une montée des compétences techniques"… Mais pourra-t-on aussi voir rimer, demain, "transition" avec "simplification" ?

>> Télécharchez ici le guide "Rebondir avec la commande publique".

 

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