Droit du travail

Risque prud’homal : comment anticiper et faire face ?

Le 26/04/2017
par Marjolaine Desmartin
Le risque prud’homal est souvent sous-estimé. Pourtant, les affaires de licenciement, de sanction disciplinaire ou encore de harcèlement peuvent coûter très cher aux employeurs. Parfois même leur entreprise.
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Tout salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour des litiges relatifs au contrat de travail et à son application : licenciement, paiement d’heures supplémentaires, sanction disciplinaire, harcèlement, discrimination…

"1 000 jugements sont rendus chaque jour en France. 65 % sont perdus par les employeurs, pour une condamnation moyenne de 30 000 €. Ce n’est pas un petit phénomène. Le risque est bien plus important que ne l’imaginent les chefs d’entreprise", alerte Alain Vergonnet, ancien juge au tribunal de commerce d’Antibes.

Des condamnations sans faute de l’employeur

Les condamnations ne sont pas toutes imputables à une faute de l’employeur : celui-ci va ainsi assumer le comportement de ses salariés ou le non-respect d’une condition de forme dans la constitution de son dossier.

"Le droit social est un véritable maelström de textes, de jurisprudences, de décisions, d’arrêtés. Il peut être très difficile de s’y retrouver. 27 % des condamnations sont liées au fait que les chefs d’entreprise n’ont pas respecté la forme car ils l’ignoraient."

Maîtriser le risque très en amont

Pour stopper cette hémorragie, Alain Vergonnet entend "aider les entreprises à maîtriser le risque prud’homal le plus en amont possible en leur donnant les armes pour désamorcer les conflits et faire régner la justice sociale". En 2011, il fonde Corporate Assistance, qui s’appuie sur trois piliers : prévenir, accompagner et garantir. La société met à la disposition de ses entreprises adhérentes un "pack employeur" (comptez moins de 100 € par mois pour une entreprise de moins de 10 salariés et moins de 150 € par mois pour les entreprises de 11 à 25 salariés), dont une hotline juridique pour mieux gérer les situations conflictuelles et contentieuses.

Plus de 1 000 appels sont passés chaque année. Les interrogations sont diverses :"Que dois-je faire… En cas d’absentéisme répété de mon salarié ?… Lorsqu’il se comporte mal avec les clients ?… S’il n’a pas atteint ses objectifs commerciaux ?… Quand il me reproche de ne pas avoir les mêmes progression et rémunération que les autres ?".

Le comportement à adopter, les règles à suivre, ne sont pas toujours évidents pour les entrepreneurs, et un "coup de pouce", ou un "coup de fil" en l’occurrence, est souvent le bienvenu.

La santé au travail, un incontournable

Par ailleurs, les dirigeants sont informés de toutes leurs obligations légales de prévention des risques psychosociaux (harcèlement, discrimination, burn-out…). En effet, il appartient aux employeurs de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de leurs salariés.

"Cette obligation est très peu connue des chefs d’entreprise, et même des avocats, déplore Alain Vergonnet. Son manquement est pourtant sévèrement sanctionné par les conseils de prud’hommes. La condamnation peut atteindre jusqu’à 4 000 € par salarié et par an."

Des conséquences financières dangereuses

Corporate Assistance prend aussi en charge les dommages et intérêts et les honoraires (avocats, huissiers, conseils). "Lorsque j’étais juge au tribunal de commerce, j’ai constaté que les conséquences financières de condamnations prud’homales pouvaient être l’une des causes du dépôt de bilan des entreprises, souligne Alain Vergonnet. Les petites structures, notamment artisanales, sont les plus impactées."

Sur son millier de clients, la société compte 80 % d’entreprises de moins de 50 salariés, et 30 à 40 % d’artisans (transporteurs, ambulances, fleuristes…). "Un artisan n’a pas les mêmes moyens qu’une grosse boîte, qui dispose d’un service RH et peut-être même d’un service juridique. Côté pécuniaire, lui est souvent à flux tendus. Son chiffre d’affaires lui sert à payer les charges, les salaires. Il ne provisionne pas. Sous le coup d’une condamnation prud’homale, j’ai déjà vu un artisan hypothéquer sa maison."

Un risque mal évalué

Malgré les enjeux, le risque prud’homal est souvent soit dédaigné, soit sous-estimé. "Pour certains, c’est une maladie honteuse, qui n’arrive qu’aux autres. D’autres ne se rendent pas compte du risque, ne le mesurent pas, regrette Alain Vergonnet. Souvent, c’est une alerte, une petite condamnation prud’homale, qui vient réveiller les consciences."

Un frein à l’emploi

À l’inverse, il arrive que ce risque bloque les initiatives. Il peut être, pour certains, un véritable frein à l’emploi. "Je n’embauche plus", assure ainsi Hugo Correia Azevedo. Cet artisan taxi a fait l’amère expérience des prud’hommes. Et plus d’une fois. "Il y a quelques années, j’avais racheté une entreprise sur Paris. Mes salariés m’ont assigné aux prud’hommes pour le paiement d’heures supplémentaires. En tort, ils ont été déboutés. Suite à cela, toute mon équipe a démissionné et j’ai vendu la boîte. Rebelote : les salariés ont tenté de faire requalifier leur démission en licenciement abusif." Là encore, le conseil a donné raison au chef d’entreprise.

"La procédure a duré trois ans. Au début, j’étais très stressé. J’ai perdu neuf kilos." Malgré tout, Hugo Correia Azevedo a fondé une autre entreprise, Taxi Service Périgord. Et pris soin de souscrire une assurance prud’homale. Aujourd’hui, l’artisan est de nouveau assigné aux prud’hommes par deux de ses salariés, fraîchement licenciés "pour propos racistes et détournement de clientèle".

Si le chef d’entreprise ne craint rien car il a "toutes les preuves nécessaires" de ce qu’il avance, il ne cache pas sa lassitude. "C’est trop facile. Les salariés recourent aux prud’hommes pour n’importe quel motif. Et nous, patrons, ne sommes jamais indemnisés lorsqu’ils sont en tort. S’ils devaient payer, cela les ferait peut-être réfléchir. Chaque journée perdue à cause d’une convocation me coûte 800 € minimum en chiffre d’affaires. Aujourd’hui, j’ai décidé de ne plus embaucher. Nous sommes neuf, nous resterons neuf. Je comprends, et je souscris au principe, que les salariés ne doivent pas se faire avoir, mais il faudrait une plus grande souplesse dans la réglementation. Le risque prud’homal est une véritable épée de Damoclès."

CHIFFRES CLEFS

  • 209 conseils de prud’hommes
  • 1 000 jugements par jour, dont 65 % perdus par les employeurs
  • 27 % de condamnations consécutives à un non-respect de la forme
  • 30 000 € de condamnation moyenne
  • Jusqu’à 4 000 € par salarié et par an pour des réclamations liées à la santé au travail

L’employeur peut aussi saisir les prud’hommes lorsqu’il estime avoir subi un préjudice : abandon de poste, vol, non-respect de la clause de non-concurrence, dénigrement de l’entreprise…

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