Les MOF en colère

Fronde et ajustements

Le 20/04/2018
par Sophie de Courtivron
À l’initiative de la Société nationale des meilleurs ouvriers de France (SnMOF), une soixantaine de MOF étaient devant le Palais Bourbon, le 17 avril, pour dénoncer le décalage entre les gestionnaires du concours - le COET-MOF, structure privée ayant une délégation de service public - et son contenu. Décryptage.
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Catherine Roland (MOF en esthétique), le député Richard Ramos, Christian Janier (MOF fromager) et Fabrice Maury (MOF sellier).

Plusieurs présidents de classes MOF ont été écartés de cette 26e édition du concours ; ce sont ceux-là qui font du bruit. Par exemple, lors des qualifications du concours des charcutiers-traiteurs, une épreuve a été invalidée par le COET (Comité d'organisation des expositions du travai) pour vice de forme, des dysfonctionnements ayant été dénoncés a posteriori (dont un coach de candidats qui était aussi membre du jury professionnel). Lors du concours des fromagers, le jury a été dissous notamment pour "conflit d’intérêts". "Il n’y a rien de caché dans le COET, tout est transparent. Quand je suis arrivé il y a deux ans, il n’y avait pas de charte déontologique", rappelle Jean-Luc Chabanne, secrétaire général du COET-MOF. Il y en a une aujourd’hui. "Le COET s’appuie sur trois piliers : égalité des chances, équité et déontologie. Oui, le COET est perfectible, on a besoin de remettre de l’ordre ; mais pas de subir des pressions qui servent des fins particulières".

Une querelle de personnes

Christian Janier, MOF fromager et chef de file de la fronde, dénonce notamment l’ingérence du COET dans le contenu des épreuves et l’impossibilité de dialoguer. Jean-Luc Chabanne répond déontologie de sa gouvernance et ouverture faite en son temps. Nous ne répéterons pas les noms d’oiseaux qui volent entre les deux parties, signe qu’on a dépassé le factuel et qu’on est bien dans l’interpersonnel. Catherine Roland, MOF esthétique, a été écartée du poste de président de classe par le COET pour conflit d’intérêts car elle était trésorière de la SnMOF (alors qu’elle était inscrite sur le bulletin officiel au moment du 26e concours). L’intéressée critique le fait que "parmi le jury choisi, personne n’avait jamais noté le concours MOF !". Ce qui en réalité n’est pas obligatoire, rappelle Jean-Luc Chabanne : "Quand de nouveaux métiers rentrent dans le concours il n’y a pas encore de MOF, mais il y a d’autres gens compétents : les professionnels des Olympiades des métiers, etc. Sur les 3 600 experts engagés dans le concours, il y a 1 500 MOF ; on ne peut pas faire le concours sans eux ; il faut des MOF, mais pas que des MOF."

À la dévalorisation du concours dénoncée par les frondeurs, Jean-Luc Chabanne assure que "le nombre de lauréats sera le même que lors des autres éditions (250 à 300). Il y a 2 851 candidats qui se sont présentés aux épreuves de qualification, 857 iront en finale. Il faut savoir que l’on remet un diplôme avec environ 8% de réussite : n’importe quel autre centre de formation serait sanctionné ! Nous sommes à part." Les mesures prises par le COET ont en fait réveillé pas mal de non-dits qui couvaient

David Grigny (MOF en restauration de meuble) et Arnaud Magnin (MOF en monture en bronze).

Un malaise plus profond

Cette affaire, qui fait du bruit, cristallise un malaise plus profond : le fossé entre artisans et administration. Qui ne date pas d’hier. David Grigny est MOF en restauration de meuble. Il était devant le Palais Bourbon pour dénoncer le mépris du travail manuel, "parce que ça fait dix ans que j’ai dû fermer mon atelier, à cause du ministère de la Culture. À la suite de la nouvelle architecture des diplômes (licence-master-doctorat)*, je n’ai plus eu de travail dans les musées". Embauchés à sa place, "des licenciés en restauration de patrimoine bâti qui font les intermédiaires entre l’administration et les entreprises : on a fait de nous de vulgaires sous-traitants, alors que j’avais travaillé au château de Versailles ! Il faut raisonner en compétences et non en niveau d’étude." Même son de cloche chez Arnaud Magnin, MOF en monture en bronze et professeur à l’école Boulle. "Le Diplôme des métiers d’art (DMA) en deux ans est devenu une licence. Sur Parcoursup, les treize ateliers que nous avions ont disparu et s’inscrivent dans des "parcours" aux noms flous ; ceux qui veulent s’inscrire dans un métier ne le trouvent pas ! Mais c’est le progrès car c’est devenu une licence… Le but n’est pas de former des gens efficients pour l’artisanat mais des diplômés ! C’est la victoire de la forme sur le fond."

Une SnMOF au rôle consultatif qui se sent "méprisée" face à des organisateurs qui ne transigent pas. Un sentiment que l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat (APCMA) a parfois déjà ressenti face au gouvernement....

*Accords de Bologne (harmonisation européenne), décrets de 2002 en France

Le COET-MOF

• 4 salariés
• Financement : Etat (20%), taxe d'apprentissage (25-30%), candidates (10-15%), partenaires privés comme le Crédit Agricole… 

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