Regards

"Les compétences professionnelles sont les clés de l’économie réelle"

Le 21/04/2020
par Propos recueillis par Samira Hamiche
L’épidémie de Covid-19, la jeunesse, le chantier de Notre-Dame de Paris… Trois sujets à première vue dissemblables, qui pourtant partagent un dénominateur commun : le besoin impérieux de compétences professionnelles. Entretien avec Michel Guisembert, président de WorldSkills France et référent des Chantiers de France, selon lequel "tout se rejoint"...
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Michel Guisembert

Le président du réseau national des CMA, Bernard Stalter, nous a quittés le 13 avril dernier. Vous qui l’avez étroitement côtoyé, que retiendrez-vous de lui ?

Michel Guisembert : C’est une disparition terrible pour tous ceux qui savent ce qu’est un métier. Personne ne peut mieux parler de l’artisanat et des métiers que ceux qui le pratiquent ou le pratiquaient. Nous assistons dans le monde à une forte prise de conscience de l’importance des compétences professionnelles, qui sont les clés de l’économie réelle. C’est un combat permanent… La disparition de Bernard, sa pugnacité autour de l’artisanat, de l’apprentissage, des compétences, resteront gravés dans les mémoires.

La crise sanitaire que nous vivons bouscule nombre de repères. Quels « enseignements » en tirez-vous ?

M. G. : La période actuelle nous rappelle à l’ordre, elle doit nous sensibiliser à la préservation des compétences professionnelles. Nous en avons l’illustration, malheureusement, avec les personnels de la santé qui nous renvoient à nos manques et nous prouvent que si l’on ne fait pas attention aux compétences professionnelles, à un moment on se retrouve en difficulté. Par ailleurs, la France avait oublié de maintenir la fabrication de masques, de blouses, de composants pour les respirateurs. On a privilégié une économie de marché à court terme en oubliant des principes fondamentaux. La leçon qu’il nous faudra tirer de ce moment imprévisible, c’est bien cela : il faudra être capable de prévoir, de se reconnecter aux compétences.

« C’est l’enseignement de fond que nous apporte le Covid-19 : nous aurons des sommes abyssales à renflouer et c’est par la compétence que nous ramènerons l’équilibre économique. »

La compétition WorldSkills constitue d’ailleurs une vitrine hors pair des compétences...

M. G. : Les WorldSkills, ce n’est pas qu’une compétition, c’est un formidable observatoire. On se rend compte que des nations telles que la Chine, la Russie et le Brésil, qui étaient complètement absentes des radars des compétences professionnelles il y a dix ans, sont désormais dans le top 3, de par une volonté politique. Elles s’adaptent en permanence aux réalités économiques, dans les métiers artisanaux comme dans les métiers des nouvelles technologies. Il faut se projeter dans les 30 prochaines années : si la France ne s’adapte pas, elle ne pourra pas faire face aux enjeux internationaux. Notre jeunesse comprend tout cela, elle est capable d’anticiper et de relever les défis... Il faut aujourd’hui lui apporter du sens, de l’abnégation et de l’amour.

« Si la France ne s’adapte pas, elle ne pourra pas faire face aux enjeux internationaux. »

Les prochaines échéances de la compétition WorldSkills ont été reportées. Craignez-vous pour l’organisation de la compétition ?

M. G. : Pour l’heure, nous n’avons aucune certitude quant au déroulé des sélections régionales et de la compétition lyonnaise. Dans quelques mois, où en serons-nous avec ce virus ? Si on organise une compétition à huis clos, cela perd son sens. De plus, ne peuvent participer que des jeunes sélectionnés régionalement, or 50 % des sélections régionales ne sont pas réalisées. Là aussi, si elles se tiennent à huis clos, ça perd son sens. Il faudra être patients avant d’y voir plus clair.

Où en sont les Chantiers de France, l’initiative de valorisation des métiers de la construction née au lendemain de l’incendie de Notre-Dame de Paris ?

M. G. : Le virus et les derniers événements ont retardé notre travail, car les ministères de tutelle étaient évidemment occupés à autre chose. Chantiers de France a pris du retard, mais ce n’est pas pour autant que la mission est tombée à l’eau ! Les acteurs de Chantiers de France doivent être patients et prêts à intervenir le moment venu. Pour l’heure, tout est lié à la mise en sécurité de Notre-Dame de Paris... La cathédrale n’est pas encore sauvée, alors il est prématuré d’imaginer sa reconstruction.  À ce jour, le chantier est exclusivement réservé à la mise en sécurité et à la dépollution, il y a encore trop d’inconnues. Les professionnels qui interviennent, eux, sont guidés par des valeurs remarquables. Ces artisans sont un peu nos soignants, pour faire un parallèle de circonstance : des gens dans l’ombre, qu’on avait un peu oubliés et qui nous apportent la preuve que la compétence, la maîtrise sont essentielles. Ils pratiquent de vrais beaux métiers où il y a un avenir certain. Il y a huit siècles, les maîtres d’œuvre étaient tous charpentiers ou tailleurs de pierre et avaient en moyenne entre 35 et 40 ans. Ils nous ont apporté la preuve qu’avec les moyens de l’époque, ils étaient en capacité de réaliser des constructions qui nous étonnent encore aujourd’hui…

Constatez-vous un retour en grâce des métiers de la construction ?

M. G. : Oui, ces métiers bénéficient d’une meilleure image pour un tas de raisons. Déjà, il y a une visibilité beaucoup plus importante de ce qu’il se passe sur les chantiers. À force de tout fermer, on avait déconnecté les jeunes des métiers. De plus, les conditions de travail ont été améliorées grâce aux efforts des entreprises et des organisations professionnelles. On est loin de ces chantiers boueux, irrespectueux et inhumains ! Les professionnels du bâtiment sont fiers d’exercer leur métier. Beaucoup ont une posture noble, ils sont fiers de ce qu’ils font, travaillent sur des bâtiments qui forcent l’admiration, anciens ou modernes… L’apport des outils numériques, des relevés grapholasers, etc, contribue aussi à l’attrait des jeunes, qui reviennent vers ces métiers-là.

« On est loin de ces chantiers boueux, irrespectueux et inhumains. »

Quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes ?

M. G. : Soyez curieux, n’hésitez pas à ouvrir les portes, prenez ne serait-ce qu’une décision concernant votre avenir professionnel. Celui-ci sera fluctuant, il bougera, certes… Mais au moins vous aurez pris en main votre avenir, et vous connaîtrez la foultitude d'opportunités qu’offrent les métiers. C’est d’ailleurs pour cela que les WorldSkills ont été créés : pour offrir la possibilité à des jeunes de découvrir une soixantaine de métiers en situation réelle de travail, réalisés par des jeunes à peine plus vieux qu’eux. Et quand les jeunes parlent aux autres de leur passion, ça vaut tous les prospectus du monde.

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