Opinion

Jean-Louis Étienne : « La vision des parents doit changer ! »

Le 03/10/2022
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
Figure emblématique de la défense de la nature, l’explorateur et médecin a d’abord suivi une formation de tourneur-fraiseur. Il nous éclaire sur le pouvoir du « faire » et sur les enjeux environnementaux de son prochain défi.
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Jean-Louis Étienne, médecin et explorateur français.

Quel rôle a joué le travail manuel dans votre vie ?

Je suis né dans une famille de tailleurs de vêtements, j’ai baigné là-dedans; Comme je n’avais pas de notes suffisantes pour aller en 6e, je suis allé vers un certificat d’études primaires.

Je voulais être menuisier, mais il n’y avait pas de place et j’ai suivi une formation de tourneur-fraiseur. 40 heures par semaine : technologies de construction, matériaux, dessin industriel… Cela me plaisait !

J’ai découvert les maths et j’ai aimé. Mon professeur m’a orienté vers un bac technique, une perspective que je n’avais pas envisagée, puis j’ai fait médecine.

Je suis un ambassadeur de la formation professionnelle, grâce à elle j’ai retrouvé un intérêt dans la scolarité ! En deuxième année de médecine, j’assistais assidûment aux opérations d’un chef de clinique.

Un jour, et c’est un grand moment de ma vie, il a eu besoin de moi et j’ai entendu « Habillez Étienne ! »

La chirurgie était vraiment mon destin : je faisais de l’orthopédie, de la mécanique… J’étais très à l’aise : ce sont des vis, des plaques, des broches… J’ai proposé mes services comme médecin d’expéditions (Groenland, Patagonie, sur mer avec Éric Tabarly…), jusqu’à monter la mienne : le pôle Nord en solitaire en 1986.

Ça été très constructif, j’ai résisté à l’envie d’abandonner. À mon arrivée, je me suis dit « ça va être ma vie », et je suis devenu entrepreneur d’expéditions lointaines, car c’est un métier d’entrepreneur !

Je reste très attaché au travail manuel. Ce dernier m’a donné l’insouciance, car j’ai toujours su qu’avec mes dix doigts je pouvais me débrouiller, construire une cabane, etc.

Quels signaux avez-vous pu observer lors de vos expéditions en termes de dégradation de l’environnement ?

Mon parcours est très tourné vers les régions polaires, grands témoins du réchauffement climatique. Par exemple, les scientifiques qui font des carottes en Antarctique, immense continent de glace, se rendent compte que depuis 150 ans il y a une accélération brutale de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère, et de la température (les bulles d’air microscopiques entre les flocons restent prisonnières et on les retrouve dans la glace ; en creusant à 3.000 mètres, les échantillons ramènent l’histoire du climat sur un million d’années).

Notre civilisation s’est développée via une puissance énergétique très importante (pétrole, charbon, gaz).

Quels sont les enjeux écologiques de votre prochaine expédition, Polar Pod ?

J’ai développé avec un bureau d’études une idée de vaisseau, véritable audace technologique : il fait 100 m de hauteur (dont 80 dans l’eau), il sera donc pris dans les eaux profondes, lesté et stable, les vagues à la surface passent au travers…

C’est un vaisseau zéro émission, qui suivra le courant circumpolaire de l’océan Austral (20.000 km de circonférence).

Cet océan très peu étudié nous permettra de faire des recherches sur les échanges atmosphère-océan (sa capacité à absorber le gaz carbonique ; l’océan Austral absorberait 50 % de la quantité de gaz carbonique absorbée par l’ensemble des océans, c’est un élément essentiel dans la régulation du climat), sur la biodiversité marine (inventaire par différentes approches novatrices, comme l’acoustique), sur l’impact anthropique (métaux lourds, micro-plastiques...), et enfin nous calibrerons diverses mesures satellites à partir d’observations faites sur le terrain.

Le Polar Pod fera deux tours du monde et sera trois années en orbite autour de l’Antarctique. Il partira d’Afrique du Sud en octobre 2024.

Comment voyez-vous l’artisanat ?

L’artisanat est en souffrance, la vision des parents doit changer ! Un enfant qui en 3e n’est pas intéressé par l’école est poussé vers le bac... et il aura mille raisons d’être découragé, alors que renouer avec le manuel peut être la solution, être jugé sur des choses que l’on fait avec ses dix doigts...

La performance, la gestion d’entreprise viennent après. Avant, c’est le chemin qu’il faut trouver !

Il faudrait mieux orienter la jeunesse vers les métiers, vers ce qu’est une entreprise. Beaucoup d’hommes politiques en France aujourd’hui n’ont pas la culture de ce qu’est une entreprise.

Je me souviens être passé, au moment de la rentrée, devant un centre de formation non loin de chez moi. J’ai entendu deux jeunes échanger : « tu fais quoi, toi » ? a demandé l’un ; « de la pâtisserie, p** c’est génial ! » Ça m’a marqué.

À cet âge, un enfant a plein d’énergie ! Je pense que la solution aux problèmes climatiques et environnementaux, au sens large, sera comportementale et technologique.

Nous avons besoin de la fraîcheur, de l’intelligence, de l’appétit de vie de la jeunesse car il va falloir inventer des choses ; les solutions ne peuvent venir que dans l’enthousiasme.

Le dernier ouvrage de Jean-Louis Étienne, Explorateur d’océans, est paru aux éditons Paulsen en octobre 2021.

Le 13 octobre, Jean-Louis Étienne sera invité d’honneur au festival international des Écrans de l’aventure de Dijon, organisé par la Guilde européenne du raid (du 13 au 16 octobre 2022).

Biographie 

1959 : Formation de tourneur-fraiseur.

1965 : Bac Mathématique.

1972 : Interne en chirurgie.

1986 : Il est premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire.

2022 : Lancement de la construction du Polar Pod.

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