Notre-Dame de Paris

De l’incendie à la flamme de tout un secteur

Le 29/08/2019
par Sophie de Courtivron
La loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été promulguée le 29 juillet 2019. Certes, mais où en est-on ? Face à quels enjeux les acteurs de la restauration se trouvent-ils ? Le jeudi 29 août, dans le cadre de la REF (Rencontre des entrepreneurs de France du Medef), une conférence organisée par la FFB a réuni plusieurs spécialistes. 
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photo d'ambiance de la conférence organisée par la FFB sur la restauration de Notre-Dame de ParisDe G à D : Monseigneur Chauvet (micro), recteur de la cathédrale ; Frédéric Létoffé (fond), président du GMH ; Didier Durand, patron de l’entreprise Pierrenoël ; Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine ; Michel Guisembert, à la tête des Chantiers de France ; Jacques Chanut, président de la FFB.

En ce jeudi matin, dans une salle de l’Hippodrome de Paris-Longchamp, plane une bienveillance et une convivialité inhabituelles... Est-ce parce que l’on parle de Notre-Dame, celle qui, embrasée le 15 avril dernier, a ému le monde entier ?

Le diagnostic qui permettra de définir les travaux à réaliser, leur montant et les moyens humains nécessaires n’a pas encore été établi. « L’étaiement est en cours, le platelage au-dessus de la nef est en train d’être posé. (…) La phase de diagnostic a commencé dans certaines zones accessibles, mais le diagnostic réel ne pourra se faire que quand on aura accès aux voûtes. On ne connaît pas leur état… », résume Frédéric Létoffé, président du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH-FFB). Effet collatéral de leur mobilisation, les métiers du patrimoine retaillent les briques de leur avenir.

Des savoir-faire encensés

« Notre-Dame a été construite il y a huit siècles, il n’y avait pas de DAO (dessin assisté par ordinateur) ni d’outils numériques pour le tridimensionnel à l’époque, on ne peut être qu’humbles… », pose Michel Guisembert, chef de file des Chantiers de France. Ce drame a été l’occasion de mettre en exergue des métiers d’excellence. Des métiers pour lesquels le numérique reste un accompagnement, notamment par le biais du BIM (logiciel Autodesk) et des machines pour équarrir les matériaux, car la tête et la main priment.

« Le patrimoine c’est le geste, le manuel. On doit sentir cette vibration », précise Frédéric Létoffé. Une vibration… « un lien invisible » avec la matière, pour « des métiers de passion ». Et des savoir-faire dont Notre-Dame n’est pas la seule à avoir besoin. 

La phase de sécurisation de Notre-Dame durera jusqu’à début 2020.

Dons : autour de 110 millions d’€ collectés ; le montant des promesses est autour de 850 millions.

Partout en France, des étincelles à éteindre

Avant l’incendie, la cathédrale Notre-Dame de Paris n’était pas en bon état. « Des arcs-boutants étaient détachés du chevet, des pierres tombaient dans le jardin… », se souvient Mgr. Chauvet, recteur de la cathédrale, qui avant la catastrophe devait déjà rassembler 150 millions d’euros pour restaurer la flèche et le chevet.

« C’est un constat qui peut être fait pour un certain nombre de monuments en France », souligne Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine. Un mois après l’incendie, la Fondation a lancé la campagne « Plus jamais ça ! », qui va s’articuler avec le Loto du patrimoine, et profiter au patrimoine français. « Nous devons arriver à coordonner les Chantiers de France, le chantier de Notre-Dame et les chantiers partout en France », insiste Frédéric Létoffé. 

Attiser les vocations

L’événement « a créé une opportunité pour aller chercher des jeunes. Nous avons de grandes difficultés à en trouver, et le temps de formation est long », pointe Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment (FFB). « La structure à mettre en place pour les accueillir doit fonctionner vite. C’est l’idée des Chantiers de France, mais pas dans deux ans ! ».

Pour pallier la méconnaissance des jeunes de ces métiers, des passerelles, etc. un campus dédié aux métiers d’art et du patrimoine verra le jour au Château de Versailles en 2022. Un lieu d’échanges qui pourrait se dupliquer dans les régions. Selon Michel Guisambert, président du COFOM qui revient tout juste des Olympiades des métiers de Kazan, les temps changent : « C’est un tsunami ! Les nations ont compris qu’il fallait s’occuper de la formation professionnelle. Chine, Russie, Brésil, Inde… montent en puissance et en compétences alors qu’ils étaient complètement absents avant. Les formations professionnelles ne sont pas un choix par défaut, mais des situations d’avenir ».

Fédérer les différents foyers

Fondations privées, entreprises, compagnons, État… Tous ont collaboré pour Notre-Dame. « La décision de lancer une souscription a été prise en 5 minutes le jour de l’incendie, et lancée le soir-même », se rappelle Bertrand de Feydeau. « Ce qui a été un drame à tous les niveaux peut être un événement important pour renforcer la défense du patrimoine : faire converger la force financière de l’État, les compétences des services du ministère, etc. ». Avec des progrès à faire. « Le mécénat américain a été ému (10 millions de dollars !) ; (…) mais face à cela, le dispositif mis en place par l’État ne fonctionnait pas bien. (…) L’incendie de Notre-Dame va permettre de franchir des étapes dans le financement du patrimoine ».

Un patrimoine qui peut, de plus, jouer un rôle sociétal fort. « Nos 2000 chantiers en cours aujourd’hui permettent à des composantes de la société qui ne se parlent pas au quotidien de trouver de précieux éléments d’unité ». 

Pour les spécialistes, la réouverture annoncée en 2024 par le président de la République est ambitieuse. Des années qui, quoi qu’il en soit, seront bien peu à l’échelle de la vie de la cathédrale ressuscitée. Les hommes passent, Notre-Dame demeure. 

Coup de gueule : une inspection du travail plombante !

 

Le chantier a été interrompu du 25 juillet au 18 août pour cause de risques de contamination au plomb ; risques qui sont, selon l’ex-coordinateur de chantier et sauveur de Notre-Dame Didier Durand, infondés. Le patron de l’entreprise Pierrenoël, qui participe au chantier, n’a pas peur de la vérité.

 

« L’Inspection du travail est arrivée le 30 avril sur le terrain. Nous avions mis en place nos protocoles et mesures de prévention ; nous sommes patrons et avons à cœur de faire respecter la sécurité sur nos chantiers. Pas un seul salarié n’a été jamais été contaminé. Et puis l’inspection a considéré que ce n’était pas assez ; le préfet de la Région Michel Cadot a arrêté le chantier. Ils sont dans un système où le principe de précaution est poussé à l’extrême, où la peur domine ! C’est inadmissible que les entrepreneurs que nous sommes soient considérés par le ministère du travail comme de "sales patrons"! On a recommencé à travailler, avec de nouvelles mesures qui sont au-delà des normes ; il faut se doucher pour aller boire un verre d’eau ou manger un sandwich… Qu’on m’explique pourquoi on a arrêté le chantier ! », bouillonne-t-il.

 

Ressources : la France a tout ce qu’il faut

 

Notre pays a reçu beaucoup de généreuses propositions de divers pays étrangers. Or il recèle toutes les richesses adéquates pour faire renaître Notre-Dame à partir de son propre sol :

  • Bois : Selon Frédéric Letoffé, président du GMH, la France a la plus grande forêt de chênes au monde (4 millions d’ha). Elle produit 2 millions de m3 par an ; les besoins pour Notre-Dame sont de 3.000 m3.
  • Pierre : « Nous avons six carrières en Île-de-France qui ont la capacité de fournir la pierre pour Notre-Dame », poursuit l’expert.
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