Entretien

Joël Fourny, nouveau président des artisans

Le 21/09/2020
par Propos recueillis par Julie Clessienne
Pragmatique et fin connaisseur des dossiers, Joël Fourny se caractérise par son esprit collaboratif et sa volonté de s’inscrire dans la continuité des combats menés par son prédécesseur, Bernard Stalter, disparu tragiquement des suites de la Covid-19 en avril dernier. 
Partager :
Joël Fourny, président de CMA France

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce de votre élection en juin dernier ?

Beaucoup d’émotion… C’était une élection particulière suite au départ brutal de notre président, Bernard Stalter, qui était aussi un ami. À cet instant, j’ai énormément pensé à lui. Bernard était un homme très impliqué au sein du réseau, qui a intensément œuvré pour les entreprises artisanales et pour ses collègues. La période n’était pas banale non plus avec la Covid-19 et le confinement qui nous ont plongés en pleine crise économique. J’ai mesuré toute la force que j’allais devoir mettre dans la défense des artisans, pour faire valoir leurs difficultés et attentes au plus haut niveau de l’État.

Dans quel état se trouve l’Artisanat aujourd’hui ? Entrevoit-on déjà des jours meilleurs ?

Même si nous avons traversé beaucoup de crises (celle de 2008, le mouvement des gilets jaunes, les grèves répétées contre la réforme de la retraite…), celle liée à la Covid-19 est sans précédent, et impacte très directement les entreprises artisanales. Certaines ont été dans l’obligation de fermer totalement, d’autres se sont retrouvées en difficultés ou ont dû appliquer un certain nombre de mesures de sécurité, qui restent d’actualité. Pourtant, l’Artisanat conserve toujours cette capacité à rebondir rapidement, à s’adapter, réagir… Certains retrouvent déjà un volume d’affaires, ce qui est plutôt encourageant.

"L’Artisanat conserve toujours cette capacité à rebondir rapidement, à s’adapter, réagir..."

Le réseau des CMA a fait en sorte de les accompagner au mieux en se positionnant comme interlocuteur de premier niveau (une demande de Bruno Le Maire). Un travail conséquent a été mené avec les collectivités locales, les Régions, les Direccte… Cela a prouvé la pertinence de notre réseau dans le paysage économique d’un territoire. Je salue d’ailleurs tous mes collègues présidents de région qui ont su mettre en place des dispositifs d’urgence afin de rassurer les artisans et de les renseigner quant aux mesures qui se mettaient en place. Plus d’1,5 million de contacts en direct ont été ainsi traités par nos collaborateurs ! Les dispositifs auxquels ils étaient éligibles, comme le fonds de solidarité, les exonérations de charges, ou le prêt garanti par l’État (PGE) répondaient à un besoin immédiat mais on sait les inquiétudes des chefs d’entreprise qui vont être amenés à rembourser tout cela dans les prochains mois. Notre rôle est désormais de trouver, avec le Gouvernement, les solutions qui amortiront le choc : des délais de remboursement allongés, des exonérations totales dans certains cas, l’étalement du PGE au-delà d’une année…

La relance de l’économie de proximité est un des enjeux de ces prochains mois. Quelles seront vos actions prioritaires en la matière ?

Il faut donner aux entreprises artisanales les moyens financiers de se relever et d’assurer cette re-lance économique, ainsi qu’à notre réseau pour pouvoir les accompagner, les former et les amener à évoluer dans ce contexte de crise très incertain. Nous collaborons étroitement avec le Gouvernement et Bercy pour construire un plan de relance de l’artisanat articulé autour de grands objectifs de principe : le made in France, le développement durable, la compétitivité… Des notions fortes qui supposent des enveloppes budgétaires conséquentes, indispensables pour amener les entreprises vers de nouveaux modèles, plus durables et écologiques.

Les artisans sont, par exemple, en capacité de mettre en place des outils numériques, mais cela ne peut se faire sans investissement ou formation. Pendant le confinement, un grand nombre d’entre eux s’est adapté, a mis en place des plateformes de commercialisation de leurs produits, voire de distribution organisée. Il faut se servir de cette période d’observation et de cette nouvelle orientation pour accentuer les choses.

Dans le cadre de l’économie durable, nous disposons aussi d’un certain nombre de leviers, comme le dispositif Répar’acteurs, dans lequel sont engagés 80 000 artisans. Nous avons souvent exigé des mesures fiscales auprès de l’État pour favoriser la réparation, des incitations auprès des fabricants, pour qu’ils augmentent la durée de vie du produit, et des consommateurs pour qu’ils réparent au lieu de jeter. Nous pouvons aller plus loin avec une vraie volonté politique. Cela peut être aussi générateur d’emplois non délocalisables et durables. Citons aussi les Eco-défis qui engagent les entreprises artisanales à opter pour des produits plus écologiques, à basse consommation… Pour financer ces dispositifs, pourquoi ne pas inventer une taxe particulière et complémentaire – la taxe carbone ? –, à l’égard des entreprises qui ne jouent pas le jeu ?

Enfin, il faudra accentuer les relations entre l’État, le Parlement, l’Europe et les collectivités locales pour mettre en place des stratégies d’alliances communes et apporter un soutien sur des fonds euro-péens en direction des Régions. La spécificité locale et l’aménagement du territoire sont primordiaux pour le secteur artisanal. Un accord de plan État-Régions peut être renforcé en prenant en considération notre secteur, élément souvent oublié. Il faut qu’on fasse valoir cela.

La mobilisation passée d'Agnès Pannier-Runacher et la nomination d’Alain Griset au poste de ministre délégué aux PME prouvent-elles que les artisans sont enfin écoutés avec sincérité par le Gouvernement ?

Avant la crise, la mobilisation de Bernard portait déjà ses fruits et des dispositions ont été prises dans notre sens. Il a fait comprendre à Emmanuel Macron et à ses ministres que notre secteur représentait une économie à part entière, indispensable à notre pays. Aujourd’hui, même si l’on regrette Agnès Pannier-Runacher, qui a fait un travail conséquent, nous ne pouvons que nous réjouir de la nomination d’Alain Griset à ce poste. C’est un artisan engagé depuis très longtemps au sein du réseau des CMA et comme président de l’U2P. On peut imaginer qu’il va donc nous porter un soutien particulier. C’est un signal fort pour nous. Mais il faut continuer à faire valoir auprès de lui nos spécificités et nos priorités, car il ne travaillera pas que pour nous mais pour l’ensemble des PME et TPE. J’attends beaucoup de lui en tout cas ! Il connaît les enjeux et je saurai faire le nécessaire pour qu’il fasse avancer les choses dans le bon sens. Il faut aussi continuer notre travail avec Bruno Le Maire, son ministre de tutelle. 

Autre chantier de taille : redonner l’envie aux artisans d’accueillir des apprentis. Les dispositifs incitatifs déployés par le ministère du Travail suffisent-ils ?

Face aux choix économiques que certaines entreprises vont devoir faire, renoncer à recruter un apprenti sera forcément envisagé. C’est dramatique ! Pendant la crise de 2008, les entreprises ont mis un frein complet à la formation, entraînant un trou d’air important en termes de main-d’œuvre dans les années qui ont suivi. Si on veut assurer la reprise économique et la relance, les entreprises doivent continuer à former, d’autant qu’elles s’étaient bien engagées suite aux mesures de la loi « Avenir Pro ». Le Gouvernement, au premier rang duquel Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, a bien compris qu’il faut envisager l’apprentissage comme une vraie formation de valeur. Chaque élève qui veut se lancer dans l’apprentissage peut dorénavant le mettre comme premier vœu dans ses choix d’orientation. Nous avons retrouvé une image très positive auprès des jeunes, qui ont la certitude de pouvoir apprendre un métier valorisant tout en assurant leur avenir professionnel. Les forts débouchés, les carrières honorables, les possibilités d’évolution et de création d’entreprise à terme... c’est très intéressant pour eux ! Mais, en cas de crise, les choses se compliquent… Les dernières annonces du Gouvernement vont dans le bon sens. Les apprentis ont pu prétendre au chômage partiel, les CFA ont pu délivrer leurs cours à distance… Cela a limité le nombre de ruptures de contrat d’apprentissage et assuré une continuité dans les programmes de formation. Notre préoccupation est plus sur la rentrée 2020. Les entreprises vont-elles continuer à embaucher ? Le Gouvernement nous a entendus et a proposé des aides importantes (entre 5000 et 8000 € par embauche). Mais cela ne suffira pas… Il faut rassurer l’entreprise qui va se lancer et lui donner plus de souplesse en période de turbulences. Pour cela, il faut simplifier l’aspect juridique et créer un dispositif qui permette un transfert du contrat d’apprentissage vers une autre entreprise sans rupture. Il n’y a rien de plus difficile pour un artisan que de s’engager auprès d’un jeune et d’une famille et d’être obligé, six mois après, de mettre fin à ce contrat.

Le financement des contrats d’apprentissage est-il toujours garanti ?

Auparavant, les Régions assuraient l’équilibre financier de nos 112 CFA, même en cas de baisse d’effectif. Aujourd’hui, nous sommes passés au « coût-contrat », qui a été construit dans un contexte de reprise, pas de crise. Nous sommes donc extrêmement vigilants quant aux répercussions sur la rentrée et sur l'impact financier si nous subissons une perte d'effectifs. Il va falloir trouver des solutions avec le gouvernement pour obtenir la garantie de maintien de notre offre de formations. C’est pour cela que nous accentuons également notre communication à destination des entreprises pour qu’elles embauchent tous ces jeunes volontaires, sans quoi cela serait très compliqué. 

Quelles sont les prochaines échéances pour le réseau des CMA ?

Le réseau est engagé dans une réforme profonde et importante, dans la continuité des principes fixés par la Loi Pacte. Le premier d’entre eux est l’obligation de régionalisation de notre réseau au 1er janvier 2021. Certains ont déjà franchi le cap, et j’en fais partie puisque j’ai été à la tête de la CMA des Pays de la Loire, régionalisée depuis 2015. Je suis donc bien placé pour savoir que cela suppose un travail conséquent sur le volet politique, administratif… Nous devons passer de 89 CMA actuellement à 21 établissements (13 établissements régionaux, 5 ultramarins, 2 de droit local et CMA France) ! Il faut se donner le temps nécessaire pour cette transformation, tout en préservant un service équivalent, en proximité, par l’intermédiaire des chambres du niveau départemental. La seule interrogation porte sur notre obligation d’élection fin 2021, qui entraînera un renouvellement des élus. C’est une attente forte, j’espère qu’elle sera entendue.

Autre enjeu : le COP signé avec l’État qui engage le réseau sur des objectifs en faveur de la qualité et des besoins des entreprises sur les territoires. Nous serons évalués prochainement mais, pour moi, aujourd’hui, ces objectifs sont tenus. Derrière suivront les signatures de COM (contrat d’objectif et de moyens) entre État, chambres de régions et CMA France (initialement prévues fin 2020, reportées à juin 2021).

Enfin, il va nous falloir évoluer. Les entreprises paient nos services et sont donc en droit d’attendre un résultat à la hauteur. Il faudra se montrer plus offensif et agile, s’adapter continuellement au contexte, réformer nos services, former nos collaborateurs… Si notre réseau veut perdurer, il lui faut prouver son utilité sur le terrain. Nous sommes parfois un peu timides… On fait sans savoir le dire, contrairement aux CCI qui le disent beaucoup mais sont peut-être moins efficaces dans le « faire ». Nos réseaux peuvent être complémentaires dans certains cas mais très différents dans d’autres. Notre rôle est de prouver notre pertinence par rapport à la spécificité artisanale. Ce sont de gros défis mais, quand il y a la volonté, on peut y arriver !

>> Lire aussi : CMA France : une rentrée sereine en attendant des éléments concrets

Joël Fourny : les dates-clés

1962. Naissance à Issé (44).
1986. Dirigeant de la société industrielle de modelage mécanique « SIMM Modelage ». L’entreprise a réalisé notamment le moule de l’emballage d’un des flacons de parfum les plus connus de Jean Paul Gaultier.
1999. Administrateur de la CMA 44, puis président en 2010.
2011. Président de la Fédération nationale des artisans et petites entreprises de la métallurgie (Fnapem).
2016. Président de la CMA Pays de la Loire et vice-président de CMA France.
2020. Président de CMA France. 

Biographie et photos sur le site de CMA France.


 

Partager :