Interview

Suppression des chaudières à gaz en 2026 : "totalement irréaliste" pour le président de la Capeb 71

Le 22/06/2023
par Propos recueillis par Julie Clessienne
Le 22 mai dernier, devant le Conseil national de la transition écologique, Elisabeth Borne a évoqué la possibilité d’interdire l’installation de chaudières à gaz d’ici 2026. Un délai "inatteignable" selon Olivier Klein, ministre délégué chargé du Logement, et un "véritable non-sens" pour les 500 chauffagistes de Saône-et-Loire qui ont fait monter d’un cran l’action "Touche pas à mon gaz", relayée par la Capeb départementale. Le point avec son président, Denis Guigue.
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Denis Guigue, à la tête de la Capeb 71, relaye les inquiétudes des 500 artisans chauffagistes de son département.

Estimez-vous que la Première ministre avance à marche forcée avec cette annonce ?

Le gouvernement s’est fixé un objectif de décarbonisation et avance coûte que coûte pour l’atteindre. Elisabeth Borne a évoqué l’interdiction des chaudières gaz assez subitement, sans que l’on en soit informés. Cette annonce a été mal perçue par les gens de la filière gaz, les artisans chauffagistes et la Capeb.

"Les intentions du gouvernement sont irréalistes et totalement contre-productives. Cela a crispé nos clients qui se retrouvent devant une grosse incertitude quant au chauffage qu’ils doivent désormais installer. Mêmes craintes du côté de nos installateurs !"

Avec la tension sur les matériaux et les hausses de tarifs récentes, le contexte économique dans le Bâtiment est déjà bien assez compliqué à vivre au sein de nos entreprises et à faire subir à nos clients.

Avec la Capeb, nous avons indiqué à la Première ministre que ce calendrier était intenable et que c’était une fausse bonne idée qui aurait des conséquences économiques assez désastreuses…

Militez-vous pour un report du projet d’interdiction des chaudières à gaz ou pour une stratégie alternative ?

Nous demandons plutôt un plan sur du long terme. Nous sommes bien conscients qu’il faut sortir du gaz fossile mais nous travaillons depuis de nombreuses années sur le "gaz vert" ; il faut lui laisser une chance de se mettre en place, voire aider à le déployer plus rapidement en accompagnant toute la filière : producteurs, distributeurs industriels et professionnels installateurs.

Les chaudières hybrides existent également, qui utilisent à la fois des énergies fossiles et renouvelables, tout comme le biogaz et la filière de méthanisation qui se développent au niveau des agriculteurs ou des usines de recyclage. L’interdiction des chaudières gaz pourrait donc détruire cette filière pourtant vertueuse…

Signalons aussi que nous avons la chance d’avoir en Europe, et principalement en France, des filières d’excellence en matière de construction de chaudières gaz (en Saône-et-Loire, en Alsace…). Ces produits à très haute performance consomment 30% de moins pour l’instant et pourront faire encore mieux à l’avenir.

Les pompes à chaleur (PAC), qui seraient préconisées pour les remplacer, sont fabriquées à l’étranger, principalement en Chine. On entend le président dire qu’il faut réindustrialiser la France mais il détruit des filières entières avec de telles annonces !

Quels seraient les principales difficultés pour les professionnels chauffagistes si une telle interdiction était actée pour 2026 ?

Aujourd’hui, dans les campagnes, le gaz reste majoritairement utilisé. Le fuel a déjà été interdit donc, si on parle de l’horizon 2026 – c’est-à-dire "demain" –, des dizaines de milliers de professionnels seront obligés d’aller se former à l’installation de pompes à chaleur. Rien qu’en Saône-et-Loire, nous aurions 500 professionnels chauffagistes impactés par cette mesure.

"Nous sommes déjà dans un contexte de tension de main-d’œuvre qualifiée sur le secteur : comment demander à un grand nombre de gens de se former sur un délai très court à des nouvelles technologies alors que nous n’avons pas la main-d’œuvre en face ?"

Autre phénomène : si on supprime le gaz, indirectement, on part sur une mono-énergie puisque toutes ces PAC sont reliées à l’électricité (en période de grand froid par exemple, les modèles "air-air" comme "eau-air" ont besoin d’un complément électrique). Au titre de la concurrence, nous aurons besoin majoritairement de l’électricité pour nous chauffer.

Cet hiver, nous avons eu des risques de pénurie d’électricité, le parc nucléaire ne tourne pas à 100%, nous avons des nouvelles centrales en construction pas encore au point… : c’est quand même un gros risque de partir vers le tout-électrique.

Autre incohérence : si nous n’avons pas assez d’électricité en France, on va être obligés d’aller l’acheter en Allemagne… qui la produit principalement avec du charbon, du fuel ou du gaz. Où est la logique ?

Et quelles seraient les conséquences pour les 12 millions de foyers équipés au gaz avec un tel scénario ?

Le chauffage au gaz est l’usage à l’heure actuelle dans 1 maison sur 3 et 1 logement sur 2. Une PAC à installer coûte en moyenne 3 fois plus cher qu’une chaudière gaz. Cela va donc engendrer des surcoûts très conséquents qui seront assumés par le client et les aides de l’État.

"Le gouvernement a annoncé la fin du "quoi qu’il en coûte" donc, compter sur des aides publiques au vu de l’endettement de la France aujourd’hui, ce n’est peut-être pas la bonne solution."

N’oublions pas que, derrière toutes ces aides publiques (dont Ma Prime Rénov’), il y a notre argent.

Du point de vue technique enfin, nous ne pourrons pas les installer partout… Imaginez un beau groupe de PAC sur un bâtiment classé aux Monuments historiques ? Ou des centres-villes où tous les logements auraient leur PAC sur la façade (car il y a forcément un module extérieur) ?

Il y a une incohérence, une complexité et un délai de mise en œuvre intenables.

La Capeb 71 s’est tout particulièrement emparé du sujet et a fait monter d’un cran l’action "Touche pas à mon gaz". Qu’en espérez-vous ?

Cette action a démarré chez les professionnels de Saône-et-Loire et la Capeb 71 a pris le relais pour la médiatiser et faire remonter ces incohérences qui viennent d’un manque de concertation au départ.

Nous avons fait pression au niveau des députés et sénateurs locaux. Face à cela, le gouvernement vient d’annoncer l’ouverture d’une concertation jusqu’à fin juillet à laquelle la Capeb sera associée. Nous aurons enfin la possibilité d’être écoutés. Nous restons mobilisés afin de créer un étalement de cette interdiction.

Cette action va être amplifiée sur le terrain, auprès des parlementaires. Nous avons envoyé cette semaine des courriers et des autocollants "Touche pas à mon gaz" à tous nos chauffagistes pour qu’ils puissent les apposer sur leur véhicule et pouvoir faire réagir nos clients. Les gens doivent se rendre compte des conséquences que ça pourrait avoir sur nos métiers et leur quotidien.

Quant aux politiques, ils doivent comprendre que, quand ils font de telles sorties, il faut en discuter au préalable avec les gens du terrain et comprendre l’impact que cela aura. Ces effets d’annonce engendrent des craintes qui poussent la population et les professionnels à se tourner vers des décisions plus extrêmes dans les urnes…

Un conseil pour les chauffagistes qui voudraient vous rejoindre dans cette action ?

Rapprochez-vous de votre Capeb départementale. Leur conseil d’administration est constitué d’entrepreneurs qui s’engagent et connaissent bien leurs problématiques. Ils ont des moyens d’action et commencent à déployer la campagne "Touche pas à mon gaz".

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