Opinion

"Trouver sens à sa vie dans le faire"

Le 20/10/2017
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
Commissaire de l’exposition sur les Meilleurs ouvriers de France (MOF) au musée des Arts et Métiers de Paris, l'anthropologue Arnaud Dubois pose un regard éclairé sur l’artisanat, porteur de valeurs aujourd’hui recherchées. En mettant l’homme et le geste au cœur du processus de création, celui-ci est un creuset de l’innovation.
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Arnaud Dubois, anthropologue et commissaire de l’exposition sur les Mof au musée des Arts et Métiers (Paris).

Les nouvelles technologies détruisent-elles le beau geste ?

Les outils contemporains et numériques s’additionnent aux outils traditionnels, ils ne les remplacent pas ! L’innovation ne se fait pas par l’outil mais par l’usage qu’on en fait. L’innovation naît quand l’artisan est obligé de trouver une solution à un problème, via le dépassement de quelque chose qui existe déjà. Tous les artisans sont des créateurs d’outils sur mesure adaptés au projet à réaliser ; par exemple, un horloger qui fait des rajouts sur sa machine-outil pour l’adapter au niveau de précision dont il a besoin. Les artisans maîtrisent leur production et c’est pour cela qu’ils sont dans l’excellence ; ils savent tout faire et ils sont irremplaçables. Le numérique stimule juste la création car il permet de changer d’échelle, de produire en plus grand volume, ou plus petit, plus facilement. Pour construire l’exposition, nous avons effectué une enquête auprès de vingt artisans Mof ; tous disaient qu’à l’heure actuelle aucune machine n’est capable d’égaler la main : un objet brut sorti d’une machine doit être repris par l’artisan pour être amené vers la perfection.

Le savoir-faire français est-il encore inégalé ?

Oui, il y a une réelle plus-value française ; nos artisans travaillent beaucoup à l’international (décoration d’intérieur, etc.). Il n’y a pas de concurrence, comme dans l’industrie. La particularité de l’artisanat est d’être local, ancré ; il s’inscrit dans une culture territoriale (relations sociales, maillage historique…) qui ne peut être délocalisée. Chaque pays a ses propres traditions artisanales : laque, incrustations de nacre en Chine, etc. La question du savoir-faire et de sa transmission est très complexe. Il y a eu des tentatives de monter des filières artisanales dans d’autres territoires : cela n’a pas pris. De plus, l’État français mène une politique concrète de sauvegarde et de promotion de l’artisanat : concours Mof, Maîtres d’Art, Entreprises du patrimoine vivant… Il y a d’ailleurs une volonté du nouveau gouvernement de revendiquer une identité française par la culture – dont l’artisanat – au sein de la mondialisation.

Quelle est votre vision de l’artisanat ?

Nous sommes dans une société de désindustrialisation. Un nouveau rapport au travail est en train d’émerger ; il dépasse le salariat. À l’heure de la perte de sens du travail (bureaucratie, manque de perspective des jeunes qui font des études sans savoir ce qu’ils veulent faire, etc.), l’artisanat a une vraie actualité ! On y retrouve le sens de faire quelque chose de sa vie, de trouver sens à sa vie dans le faire. Avec des notions fortes d’éthique, de plaisir. Notre enquête a révélé que les industries qui n’ont plus de filières de Recherche et développement font appel aux Mof pour « chercher » à leur place : l’innovation se fait aujourd’hui dans les petites structures artisanales…

Expo MOF, jusqu’au 5 novembre au musée des Arts et Métiers.

BIO 

2008 : Diplômé des Beaux-Arts de Paris

2014 : Doctorat d’anthropologie sociale à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales)

2016 : Post-doctorat de la Fondation Fyssen à l’University college of London

2017 : Commissaire de l’exposition "Les Meilleurs ouvriers de France"

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