Décryptage

Vendre ou ne pas vendre (sur Amazon) ?

Le 09/10/2019
par Sophie de Courtivron
10 000 TPE et PME françaises vendent leurs produits sur la plateforme Amazon. Arrivée en France en 2016, Amazon Handmade (« fait main ») est une place de marché dans la place de marché, qui cible les créateurs, au sens large. Les artisans y ont-ils leur place ?
Partager :

« Ce qui intéresse Amazon, et d’autres places de marché, c’est de se différencier de la concurrence en proposant un catalogue de produits originaux », pose Stéphane Jauffret, président de Sellermania, qui accompagne les vendeurs sur les places de marché. Handmade a été conçu pour cela. Afin d’attirer les créateurs, pas de frais fixes (le compte « normal » Amazon pro coûte 39 € hors TVA par mois) et une commission, fixe aussi, de 12 % ; le tout jusqu’à fin 2019.

Les charmes de l’Amazon

Amazon attire une masse de 25  millions de visiteurs uniques par mois en France ! Des clients français, étrangers, mais aussi… proches. « Notre premier client habitait à 5 kilomètres ! », s’étonne Laëtitia Straforelli (lire les témoignages). « Le chiffre d’affaires se fait beaucoup sur la "longue traîne" », explique Stéphane Jauffret, c’est-à-dire que les acheteurs vont taper des mots-clés très détaillés (« savon artisanal olive Corse », par exemple) ; « les gens vont sur Amazon pour acheter des produits qui ne sont pas ailleurs. »

Le site Handmade permet aux vendeurs-créateurs de mieux décrire leurs produits et de mettre plus de photos. « Amazon fait tomber les barrières de la vente en ligne : le site existe, le trafic est là, vous n’avez pas besoin d’avoir des compétences de webmaster, et votre logistique peut être prise en charge », rappelle Élise Beuriot, responsable de la place de marché Amazon.fr.  Via le service « Expédié par Amazon », les produits sont envoyés à un centre de distribution, stockés et expédiés par Amazon

Amazon la guerrière

Les artisans vendant sur Amazon ressentent parfois de la pression. Pression dans la proposition insistante de certains services, comme « Expédié par Amazon » (peu adapté à la personnalisation ou aux petites séries, coupant le lien entre vendeur et clients), ou pression indirecte sur les frais… « Est-ce que cela sera toujours gratuit en 2020 ? », s’inquiète Valérie von Allmen-Schmidt (cf. témoignages).

Pression aussi dans leur travail, car « il y a beaucoup de renseignements à donner pour créer les premières fiches produits, réfléchir aux bons mots-clés… », pointe Valéry Klein, qui a fait le pari du e-commerce (lire encadré) ; l’artisan s’offre ainsi les services d’un collaborateur spécialisé pour développer ses ventes et sa stratégie. « Pour émerger de ce catalogue de 250  millions de produits, il faut utiliser les outils publicitaires ! », confirme Stéphane Jauffret. Une tâche qui ne s’improvise pas… De plus, pour ne pas prendre le risque d’être déréférencé, le vendeur doit « être hyper transparent sur ses délais d’expédition », note Élise Beuriot, et ne pas franchir certains seuils. Les critères sont transparents sur le site : Taux de commandes défectueuses : < 1 % ; Taux d’annulations de commandes avant traitement : < 2,5 % ; Taux d’expéditions en retard : < 4 %

Une police interne veille au grain ; car, chez Amazon, le client est roi. En cas de suspension de compte, attention : « Donnez précisément à Amazon ce dont il a besoin pour débloquer les choses », prévient Stéphane Jauffret, auteur d’un livre blanc sur le sujet. La contrefaçon est une autre menace qui plane sur les artisans de la plateforme, même si Amazon réagit et a notamment mis en place une protection via le Registre des marques6. Mais que faire si c’est Amazon qui distribue sous sa propre marque le produit à succès d’un autre (ce qui est déjà arrivé) ?

Des réglementations à la traîne

Le 17  juillet dernier, la commission européenne a ouvert une enquête approfondie sur Amazon « et son double rôle en tant que place de marché et détaillant, afin de vérifier si l’entreprise respecte les règles de concurrence de l’UE ». Car si la France va maintenant taxer les Gafa (Bercy compte ainsi récolter 400  millions d’euros en 2019), les réglementations en matière de protection des entrepreneurs sont encore assez tièdes.

La Charte de « bonne conduite » des acteurs du e-commerce, signée le 26  mars avec certaines plateformes, n’encadre pas grand-chose, aux dires des signataires ; Amazon a botté en touche, arguant n’avoir pas besoin d’intermédiaires pour communiquer avec les TPME françaises. Le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, nous confie vouloir « poursuivre les travaux engagés avec la charte de bonne conduite et le dialogue impulsé dans le cadre de l’observatoire des plateformes (mis en place au sein de la DGE, ndlr). Notre objectif est de dépasser en efficacité (…) les strictes obligations réglementaires qui s’appliquent aux plateformes, prochainement au titre du règlement P to B (Platform-to-Business) et déjà dans le cadre de la loi française. »

>> Notre interview de Cédric O, secrétaire d’État au Numérique

Le règlement P to B a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 11  juillet 2019. Il sera applicable à partir du 12  juillet 2020. Les vendeurs pourront s’appuyer sur ce règlement en cas de litige avec leur plateforme.

Des lois françaises et européennes qui essayent donc de cadrer un géant fondamentalement global et international... Et l’artisan dans tout ça ? Il peut y trouver son compte, à condition de ne surtout pas dépendre du monstre.

A lire aussi : nos témoignages d'artisans ayant expérimenté Amazon

Partager :