Artisan campanaire
Heur’Tech : kyrielle de clochers
26/02/2020
Julie Clessienne

L’heure de s’installer

"Avant les cloches véhiculaient beaucoup de superstitions ; leur langage était structuré, destiné à informer les villageois : les heures, l’angélus, le glas, autant de coups portés que l’âge de la personne décédée…", conte Éric Chomel, un des rares campanistes français. Aujourd’hui spécialiste de ce patrimoine singulier, c’est pourtant le hasard qui mène ce mécanicien dans les travaux publics sur cette voie : une expérience dans une entreprise d’horlogerie industrielle à Saint-Étienne, dont il est originaire, une formation à Paris… "La demande existait ; le centre de la France offrait des opportunités car la concurrence était faible." Son entreprise, Heur’Tech, naît en 1995, dans l’Allier.

Touche-à-tout

Spécialisé dans l’électrification des systèmes de gestion de commande des cloches (sonnerie et balancement), le métier de campaniste est surtout l’apanage des touche-à-tout. "Électricien de base, il nécessite des connaissances en mécanique et en horlogerie (pour intervenir sur des modèles datant parfois encore de la fin du XIXe), en charpenterie et ferronnerie (car nous fabriquons aussi les beffrois, qui soutiennent les cloches), en électronique…", énumère Éric Chomel, qui regrette de ne pouvoir embaucher d’apprentis. "Le manque de formation diplômante adéquate m’inquiète du point de vue de la pérennisation des savoir-faire."

Anti coup de foudre

Alors que seules 15% des communes en France fonctionnent encore avec des systèmes manuels, les campanistes ne peuvent miser toute leur activité sur l’électrification. Historiquement, la pose de paratonnerre et parafoudre sur les toits des clochers leur incombe également. La moitié de l’activité de Heur’Tech aujourd’hui. "Nous gérons l’installation et les vérifications, obligatoires pour ces dispositifs. Nous sommes d’ailleurs certifiés Qualifoudre." Plus insolite, Éric Chomel entretient aussi trois des derniers "jacquemarts" de France, des automates qui indiquent les heures en frappant une cloche avec un marteau.

Au service du patrimoine

Fort de 800 clients (mairies, communautés de communes, Drac, pour l’essentiel) et de 450 contrats d’entretien annuels sur une zone qui couvre dix départements, Éric Chomel… ne chôme pas ! En renfort : son épouse Sylvie, conjointe collaboratrice, et trois techniciens formés par ses soins. "Les conditions d’intervention sont difficiles, dangereuses. Une fois là-haut, nous en profitons pour jeter un coup d’œil à tout : respect des normes de conformité, tuile manquante, invasion de pigeons, charpente en mauvais état… Les maires sont responsables de ce patrimoine mais aussi en cas d’accident." Adjoint de sa commune, il connaît leurs problématiques et peut les aiguiller au besoin.

S’unir pour durer

En 2004, Heur’Tech a rejoint le groupement ATC (Artisans techniciens campanaires). "Nous sommes sept entreprises à nous être réparti presque tout le territoire français." Une concurrence saine et des avantages non négligeables : "Nous avons développé des produits d’électrification selon notre propre cahier des charges, mis en place une politique de prix commune… Nous partageons aussi un stand lors du Salon des maires à Paris." En 2011, ATC a même repris une fonderie datant de 1715, désormais installée à Strasbourg. "Nous conservons ainsi ce savoir-faire exceptionnel et complétons notre offre. D’autant que les demandes sont encore fortes, notamment au Vietnam et en Afrique !"

Garantes des heures qui s’égrènent, les cloches de nos églises cadencent notre quotidien. Inlassablement, subrepticement. Derrière cette ponctualité à l’épreuve du temps se cache un savoir-faire souvent méconnu, celui des campanistes. Discret et efficace, Éric Chomel, installé au centre de la France, est l’un d’eux…