Droit de suite

Aides à la rénovation énergétique : ma déprime rénov…

Le 15/09/2023
par Sophie de Courtivron
Depuis 2020, MaPrimeRénov’ est une aide de l’État destinée aux propriétaires qui réalisent des travaux de rénovation énergétique. Elle a évolué, généré pas mal de mécontentements, et continue à bouger. Y a-t-il derrière tout cela une volonté d’efficacité ?
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Ma PrimeRénov’ (MPR) est une aide liée à un type de travail à effectuer et corrélée aux revenus du ménage demandeur (4 paliers, de "ressources très modestes" à "ressources supérieures").

"Plus on est modeste, plus l’aide est importante ; plus il y a d’impact sur la baisse de la consommation énergétique, plus l’aide est importante", précise Simon Corteville, responsable du service rénovation énergétique et politiques sociales à l’Agence nationale de l’habitat (Anah), qui gère la distribution de MPR.

Les artisans qui font les travaux doivent avoir une qualification (RGE), ces travaux peuvent être contrôlés (10% des dossiers), et ils doivent faire de la paperasse. Beaucoup de paperasse.

"Il y a des dossiers refusés car on a écrit ″chaudière Atlantic″, et on nous dit que la marque de la chaudière n’est pas indiquée ; il faut écrire ″Marque : Atlantic″, s’indigne Jean-Claude Rancurel, président des Métiers de la couverture et plomberie-chauffage à la Capeb. Nous ne sommes pas des gratte-papiers !" Il n’y a pas que lui qui fulmine.

Des rouages grippés

En théorie, demander une aide sur le site maprimerenov.gouv.fr paraît simple (5 étapes). Mais le diable se niche dans les détails.

"Il y a par exemple beaucoup d’allers et retours administratifs en amont des travaux pour que les devis collent bien à la demande : il faut une date de pré-visite du chantier, les résistances thermiques doivent être de même niveau que celles mentionnées pendant l’audit… ", commence à énumérer Baudouin de La Varende, co-fondateur d’Ithaque Rénovation, bureau d’études qui accompagne ses clients de l’audit à la récupération des aides.

Les artisans et les particuliers n’ont pas la même résistance que les prestataires spécialisés.

"Dès qu’il y a une erreur dans le processus, c'est l’enfer, on ne peut plus revenir en arrière, et vous avez un mur en face de vous. La moitié de mes clients qui pourraient bénéficier de MPR abandonnent car ça les rend dingues, ils n’ont pas d’interlocuteur, pas la patience, s’insurge Karim Joumad, artisan couvreur à Saint-Apollinaire (Côte-d'Or). Cela décrédibilise tout le monde !"

L’Anah reçoit en moyenne 25.000 demandes de subvention par semaine. "L’Anah était sous l’eau ; ça a été fait trop vite, trop gros ; il y aurait pu y avoir plus de pédagogie, il y a eu des problèmes de méthode. Néanmoins, aujourd’hui, la plateforme est globalement fonctionnelle", poursuit Baudouin de La Varende. Mais il aura fallu en dépenser, de l’énergie, pour en économiser…

Face à l’afflux des réclamations des particuliers, la Défenseure des droits a enquêté. "Nous déplorons notamment le délai de traitement trop long de nos réclamations, l’application stricte des textes relatifs à la procédure – qui est un obstacle pour certaines personnes pourtant éligibles –, et l’absence d’alternative à la voie numérique", résume Daniel Agacinski, Délégué général à la médiation auprès de la Défenseure des droits, qui a émis des recommandations pour l’Anah. "Les réponses sur ces différents points ne sont pas à la hauteur de nos attentes." 

Il salue néanmoins "un vrai dialogue entre nos équipes et l’Anah pour partager les retours d’expérience". Ces "failles" peuvent s’avérer dangereuses. "Des artisans ont coulé car ils ont avancé le montant de la prime", rappelle Karim Joumad...

Témoignage d’un particulier : le parcours du combattant

"J’ai déposé une demande de prime sur le site de l’Anah ; j’ai reçu une lettre de refus arguant que mes travaux d’isolation des toits n’étaient pas éligibles car non listés dans l’arrêté modifié du 14 janvier 2020. Or ils le sont. J’ai donc téléphoné à l’Anah, qui m’a répondu qu’il fallait que mon artisan couvreur fasse deux devis différents : un pour l’isolation des rampants de toiture et l’autre pour l’isolation des combles perdus, un seul de ces devis étant éligible. Cela ne correspond pas au refus évoqué ; de plus, des subventions ont été accordées à des clients de mon artisan sur un seul devis pour ces deux isolations. Je rappelle que je me suis fait aider par un conseiller spécialisé pour mon dossier, que j’avais fait faire trois devis, corrigés et recorrigés pour être conformes, et que j’ai passé cinq mois avant d’arriver à remplir mon dossier sur le site de MaPrimeRénov’, qui dysfonctionnait (impossible de cocher la case "genre", revenu fiscal ou avis d’impôt déclarés incorrects, etc.). Le délégué de la Défenseure des droits m’a dit de faire un recours. Je me bats pour défendre le bon droit contre une Administration obèse et incompétente qui gère très mal l’informatique alors qu’elle nous y contraint."

Entre évolutions et remaniements

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov’ (MAR) est obligatoire depuis ce mois de septembre 2023 "pour tous les projets de travaux demandant plus de 10.000€ d’aide MPR ou tout projet de rénovation globale", pose Baudouin de La Varende, qui est formel :

"L’accompagnement est un des axes pour arriver à massifier la rénovation énergétique." 

MAR est un tiers de confiance indépendant, qui permet aux ménages de s’inscrire dans des parcours de rénovations globales et performantes via un accompagnement technique et financier (audit énergétique, recommandations de scenarios de travaux, mobilisation des aides financières, etc.).

"MAR est payant, mais il y a des aides de l’État (jusqu’à 2.000€ pour les revenus très modestes)".

L’accompagnement peut être gratuit si votre collectivité a mis en place un financement
dédié. Il peut aussi être cofinancé par l’Anah.

Pour devenir MAR, les acteurs privés (bureaux d’études…) doivent obtenir un agrément de l’État.

De plus, en 2024, MaPrimeRénov’ va évoluer en deux piliers :

  • un pilier "performance" pour réaliser des travaux d’ampleur avec un reste à charge minimal pour les ménages les plus modestes,
  • et un pilier "efficacité" qui permettra de poursuivre les aides MaPrimeRénov’ pour les changements de chaudière et les petits bouquets de travaux combinant des gestes d’isolation et d’équipement de chauffage décarboné.

"Les choses ne sont pas totalement figées, affirme Simon Corteville. Il y aura des communications plus précises par le ministre à l’automne, au moment des discussions budgétaires."

Un point est acté : "L’enjeu est d’accompagner très fortement la rénovation globale. Il y en a eu 66.000 en 2022 et l’idée est de passer à 200.000 en 2024. Le budget annuel de MPR sera alors porté à 4 milliards d’euros".

La rénovation globale est donc le prochain défi à relever, mais les ménages suivront-ils ? Le récent rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique (juillet 2023), alerte sur le fait que "les changements permanents provoquent attentisme et confusion". En pointant qu’ "à l’intérieur du dispositif MaPrimeRénov’, le détail et les conditions des aides changent tous les ans et parfois plus vite encore".

EN CHIFFRES

  • 1,26 million,de demandes de solde MPR déposées depuis 2020 ; 1,11 million de dossiers payés pour 3,5 Mds€ de primes (Source : Anah, chiffres à fin mars 2023).
  • 185.922 rénovations globales financées depuis 2020, pour un montant de 2,2 Mds€ (Source : Anah, chiffres à fin mars 2023).
  • 92 % des Français seraient attentifs à la consommation énergétique de leur nouveau logement s’ils devaient en changer (Source : L’éco-rénovation des logements ; sondage OpinionWay pour Sofinco - Juin 2023).

Vers plus de cohérence

"Aucun mécanisme financier ne finance aujourd’hui la performance. Or seule la rénovation performante permet de décarboner notre société (…), en divisant nos consommations de chauffage par 4 à 10 selon les situations", martèle Vincent Legrand, président de Dorémi, entreprise de l’économie sociale et solidaire actrice de la rénovation performante.

Rappelons qu’une rénovation dite "performante" amène le logement en classe A ou B en traitant six postes de travaux.

"Il y a 8 millions de maisons qui sont des gouffres énergétiques. Mettre une chaudière neuve, des fenêtres neuves… c’est de l’entretien. MPR fait croire que l’on fait de la rénovation mais ces travaux n’ont aucun impact énergétique", Vincent Legrand, président de Dorémi.

En envisageant la rénovation comme un tout, les deux évolutions ci-dessus semblent aller dans la bonne direction. Mais quel est donc, dans ce contexte, le sens du pilier "efficacité" ?

Poursuivre les financements par gestes en visant la décarbonation des logements, autrement dit en valorisant les pompes à chaleur (qui représentent 72% des cas de MPR, hors des dispositifs de rénovation globale).

"On veut 9 millions de pompes à chaleur d'ici à 2030 !", s’exclame Vincent Legrand. Ce qui est contreproductif dans un logement de classe E mal isolé…

Dans une lettre datant de juin, un collectif d’acteurs de la rénovation performante propose au gouvernement de rationaliser davantage la rénovation énergétique pour passer définitivement du saupoudrage à l’efficience.

Beaucoup de choses pourraient être faites. Comme l’obligation d’accompagnement, lors de l’achat d’une maison "passoire" (100.000 transactions par an), assortie d’une proposition de rénovation performante en une étape.

"C’est un moment clé, on s’endette ; l’idée, c'est que la baisse de la facture de chauffage paye les mensualités de prêt", affine Vincent Legrand. Ou encore, pour réduire les fraudes massives qui fragilisent le marché, de lier les aides aux parcours et aux postes réalisés, et non à des calculs falsifiables (saut de classes DPE, etc.) ; "nous avons travaillé sur 14 bouquets de travaux pré-calculés, auxquels nous formons les artisans. Cela dégage leur charge mentale. Ces bouquets nous permettent d’arriver à 49,5 kWh/m2/an en chauffage : l’objectif du gouvernement est atteint avec des outils simplifiés", continue Vincent Legrand.

La consommation énergétique moyenne des logements en France est estimée entre 250 et 300 kWhep/m²/an. Pour atteindre le niveau BBC (label Bâtiment basse consommation) en 2050, les consommations doivent être réduites en moyenne par 3 à 4.

Les solutions existent. "Le problème est la cohérence entre politiques publiques et responsabilité." Les hommes politiques passent, la planète reste.

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