Entretien exclusif

Alain Griset : "La crise a débloqué les consciences des TPE sur leur nécessaire numérisation"

Le 12/03/2021
par Propos recueillis par Julie Clessienne
En mettant 120 millions d’euros sur la table pour la numérisation des TPE via le plan France Relance fin 2020, le Gouvernement a fait passer cet enjeu au rang des priorités nationales. "Sensibiliser, informer, accompagner" sont les mots d’ordre de la campagne de communication lancée fin 2020. Alain Griset, ministre délégué aux PME, nous en révèle le premier bilan.
Partager :

Le Monde des Artisans : Comment la numérisation des TPE est devenue une priorité du Gouvernement en cette période de crise ? Comment la France se plaçait-elle sur ce sujet par rapport à ses voisins européens ?

Alain Griset : Tout d’abord un constat a été fait : les TPE-PME françaises étaient très en retard par rapport à d’autres pays européens.

Par ailleurs, la crise sanitaire et le premier confinement avaient démontré qu’une partie de ceux qui étaient numérisés arrivaient néanmoins à réaliser une partie de leur chiffre d’affaires. Dans les restaurants, les commerces alimentaires, comme les boucheries, les boulangeries, le click & collect prenait de l’ampleur.

Tous ces éléments ont amené l’État à faire de la numérisation des TPE une priorité inscrite dans son Plan de relance. Avec Bruno Le Maire, nous avons regardé de quelle manière nous pouvions atteindre l’objectif ambitieux de faire bénéficier ce dispositif à 1 million d’entreprises en 2021. Pour cela, nous avons activé trois leviers :

  • Un soutien apporté aux collectivités (EPCI, mairies…) qui mettent en place des places de marché sur leur territoire ou recrutent des managers de centre-ville ;
  • Un travail mené avec les branches professionnelles pour identifier des dispositifs, des outils qui pourraient être mutualisés afin de progresser, à la fois en termes de vente, mais aussi pour améliorer la gestion des stocks, des ressources humaines, de l’administratif… ;
  • Une approche individuelle grâce à l’appui des réseaux consulaires (CMA, CCI) pour informer, en direct, les entrepreneurs isolés, de l’intérêt de la numérisation.

Le Monde des Artisans : Qu’opposeriez-vous à un petit artisan qui vous répondrait qu’en cette période, il n’a pas de temps à consacrer au numérique ? Qu’il ne sait pas par où commencer ?

Alain Griset : D’abord, nous essayons de faire une campagne de communication innovante. Nous avons notamment lancé une émission de télévision avec France Num, Connecte ta boîte, qui démontre le bien-fondé de la numérisation dans l’intérêt de l’entreprise elle-même.

Ensuite, l’objectif de la sensibilisation est de bien expliquer en quoi c’est un investissement pour l’avenir qui permet d’accompagner les entreprises vers plus de simplicité. Cette crise sanitaire a permis une prise de conscience très forte et beaucoup d’entreprises ont accéléré leur démarche de numérisation.

Le Monde des Artisans : Parmi les objectifs de cette campagne qui visait les TPE : 60.000 appels téléphoniques de sensibilisation et 10.000 diagnostics de maturité numérique gratuits, assurés par les réseaux consulaires. Est-ce que ces objectifs ont été atteints ?

Alain Griset : 60.000 appels téléphoniques ont en effet été réalisés par les chambres consulaires lors du second confinement afin de sensibiliser les TPE aux enjeux de numérisation et leur proposer les aides mises en place, notamment le chèque numérique de 500€.

Depuis, les CMA et CCI sont en train de finaliser 10.000 diagnostics gratuits pour les entreprises qui se déroulent sous forme de demi-journée où un expert numérique dresse avec l’entrepreneur ses priorités en termes de numérique et définit un plan d’action adapté.

Par la suite, nous allons également financer des formations qui auront pour objectif de permettre à l’entreprise d’expérimenter concrètement et gratuitement un usage ou une solution numérique en réponse à un besoin concret.

Les petites entreprises ont besoin d’être convaincues des bénéfices du numérique à travers la réalisation d’une action concrète (ouverture d’une boutique en ligne, mise en place d’un logiciel de gestion des stocks…).

Le Monde des Artisans : Comment les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) ont-elles choisi les entreprises à contacter en priorité ?

Alain Griset : Les CMA ont fait leur choix elles-mêmes, au plus près des réalités du terrain, parmi les entreprises qu’elles avaient identifiées comme ayant potentiellement un besoin en la matière.

En termes de diagnostics, la proportion des entreprises contactées se répartit comme suit : une prépondérance des entreprises dans le secteur de la production (+ de 40%),  36% pour les services, 11% dans l’alimentation et 10% pour le bâtiment.

Le Monde des Artisans : Un chèque numérique de 500€ devait compenser les frais engagés par les entreprises. Les versements ont-ils commencé ? Combien d’entreprises en ont fait la demande jusqu’ici ?

Alain Griset : Ce dispositif bénéficie aux entreprises fermées au mois de novembre. Nous avions envisagé qu’il pourrait en concerner 120.000.

À ce jour, 12.000 entreprises en ont fait la demande. Le remboursement devrait avoir lieu dans les prochains jours via l’ASP (Agence de services et de paiement).

J’invite donc tous ceux qui sont concernés à se rendre sur le portail dédié  et à déclarer les dépenses numériques qu’ils auraient réalisées entre le 31 octobre et le 31 mars.

Nous sommes déterminés à accompagner les entrepreneurs et je compte beaucoup sur les dispositifs mis en place, notamment avec les territoires et les branches professionnelles, pour pouvoir démultiplier le nombre d’entreprises concernées.

Le Monde des Artisans : Les collectivités locales se sont emparées de cette problématique, en lançant notamment des dizaines de places de marché locales ces derniers mois. Ne craignez-vous pas que les petites entreprises soient noyées sous les sollicitations ? Comment les aider à faire le tri ?

Alain Griset : Je pense que, lorsqu’on se place à l’échelle du territoire, les entreprises arrivent bien à identifier les plateformes les plus intéressantes.

Par ailleurs, les conseils apportés par les réseaux consulaires et les organisations professionnelles sont là pour éviter que les entreprises ne se fassent prendre au piège ou utilisent des outils non adaptés.

Le Monde des Artisans : Si des dizaines de milliers de TPE font appel, sur une période courte, à des prestataires de services dans le domaine du numérique, déjà en tension, y a-t-il un risque que la demande soit supérieure à l’offre ?

Alain Griset : Je ne pense pas car s’il y a un outil mutualisé pour le secteur du bâtiment par exemple, nous toucherons tout de suite 400 ou 500.000 entreprises ! Donc le fait d’avoir des organisations professionnelles ou des collectivités qui s’emparent du sujet nous permettra de démultiplier le nombre d’entreprises concernées.

Le Monde des Artisans : L’arrivée sur Internet de nombreuses petites structures peu rodées aux usages du numérique a multiplié les tentatives de cyberattaques ou d’hameçonnage. Les TPE y sont-elles sensibilisées ? Existent-ils des dispositifs pour les aider en cas de piratage ?

Alain Griset : C’est un vrai sujet ! En général, ce ne sont pas les plus petites entreprises qui sont visées mais ça peut l’être. Nous nous appuyons pour cela sur l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, qui s’occupe de la protection contre la cybercriminalité. Son portail recense toutes les informations utiles sur le sujet.

Et, derrière, il faut que les prestataires auxquels nous faisons appel mettent en place les protections suffisantes.

Il faut aussi que les entrepreneurs comprennent bien qu’il y a des procédures, notamment en termes de sauvegarde des données, qui leur permettent d’éviter de tout perdre en cas d’attaque. Nous les sensibilisons aussi sur ce point.

Le Monde des Artisans : Autre sujet : le plan pour les indépendants, en cours de discussion. Avez-vous d’ores et déjà des motifs de satisfaction dont vous pouvez nous faire part, alors que de premières conclusions sont attendues dans les prochaines semaines ?

Alain Griset : Dans le cadre de la concertation avec les organisations représentatives et les groupes politiques du Sénat et de l’Assemblée nationale, je suis satisfait car tout le monde comprend bien l’importance de créer un environnement fiscal et social adapté à la taille de ces entreprises. Le sujet est pris à bras-le-corps.

Les concertations aboutiront en fin de semaine prochaine. Je compte remettre mes propositions au Premier Ministre lors de la première quinzaine du mois d’avril.

Partager :