CPRIA : dix ans d’action… discrète
Dix ans. Dix ans que le dialogue social se pratique à l’échelle régionale dans le secteur de l’Artisanat… en toute confidentialité. Ou presque. Car les Commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’Artisanat (CPRIA), qui soufflent leurs dix bougies en 2021, ne constituent pas – loin de là – les espaces de paritarisme les mieux identifiés.
Comment sont nées les CPRIA ?
Nées d’une initiative des partenaires sociaux et consacrées par l’Accord de l’Artisanat du 12 novembre 2001, ces instances où siègent l’U2P (l’UPA à l’époque), la CGT, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et FO ont ouvert la voie du dialogue social dans les TPE.
Dans la douleur… puisqu’il aura fallu près de dix années de bisbilles juridiques avec le Medef et la CPME (qui contestaient le caractère "interprofessionnel" de ces instances où ils n’étaient pas invités à siéger) avant qu’elles ne prennent une consistance réelle vers 2010-2011 (à l’exception de celle de Bretagne lancée dès 2004 avant même l’extension de l’accord constitutif par le ministère du Travail).
L’initiative fera boule de neige puisque, dès 2012, les professions libérales emboîteront le pas des artisans en créant leurs propres commissions régionales (les CPRPL). Elles inspireront ensuite la création des Commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) via la loi Rebsamen de 2015.
Ces CPRI sont chargées d’organiser le dialogue social sur un champ qui couvre l’ensemble des TPE (pas seulement artisanales ou liées aux professions libérales) ainsi que les 20% de salariés français qui y travaillent.
Peu de moyens
"Pendant dix ans, les syndicats et les patrons de l’Artisanat de l’U2P ont appris à se connaître. Cela n’allait pas de soi, le monde de la TPE restait encore inconnu des centrales syndicales surtout présentes dans les grandes boîtes", r Michel Beaugas, secrétaire confédéral Force Ouvrière en charge des dossiers de l’emploi et de la formation professionnelle.
Conséquences : les actions réalisées durant cette décennie l’auront été avec peu de moyens.
Financiers d’abord, puisque les ressources des CPRIA sont appuyées sur une cotisation des entreprises de 0,08% de leur masse salariale. Humains ensuite (la plupart des commissions ne disposent que d’un personnel limité mis à disposition par les unions territoriales de l’U2P). Et surtout… juridiques.
Loin d’être des "CSE régionaux de l’Artisanat" ou des structures dotées de la compétence de négociation (laissée aux branches), les Commissions paritaires ne disposent d’aucun pouvoir normatif.
Leurs missions :
- informer les salariés et les chefs d’entreprise artisanale des dispositions légales et conventionnelles existantes ;
- prévenir les conflits entre employeurs et salariés ;
- faciliter l’accès des salariés aux œuvres sociales, culturelles et sportives comme en bénéficient ceux des plus grandes entreprises.
Difficulté supplémentaire : les organisations constitutives ont parfois du mal à trouver des candidats pour siéger au sein des instances au vu de la très faible participation des salariés aux élections professionnelles dans les TPE (à peine 5,44% lors de celles de 2021…)
Travail paritaire qualitatif
Pour autant, les dix années écoulées sont loin d’avoir été inutiles. "Le travail paritaire y a été qualitatif", juge François Hommeril, président de la CFE-CGC.
Principale réussite de cette décennie de travail paritaire, la création de Proximeo, un "club avantage" qui touche désormais 2,8 millions de salariés de l’Artisanat et "agit à la manière d’un comité social et économique d’entreprise dans la gestion des œuvres sociales et culturelles à destination des TPE de l’Artisanat", détaille Angeline Barth, secrétaire confédérale CGT chargée de la formation professionnelle, de la négociation collective et de la démocratie sociale.
C’est surtout au plan de services rendus aux TPE et salariés que l’action des CPRIA s’apprécie depuis 2011 :
- réalisation de fiches RH pour faciliter le recrutement ;
- mise au point de livrets d’accueils des nouveaux salariés pour les employeurs de Bourgogne-Franche-Comté ;
- participation à la cartographie des emplois et des compétences en Bretagne ;
- création des Trophées Quali’Vie pour favoriser la qualité de vie au travail dans les entreprises de petite taille ;
- lancement de travaux sur la santé au travail avec le concours des Agences régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) ;
- organisation de colloques régionaux sur diverses thématiques dans le périmètre des Commissions ;
- mise en place de rencontres entre le monde de l’éducation et celui de l’entreprise pour faciliter les recrutements d’apprentis, etc.
"L’efficacité des CPRIA, on l’a vue pendant le Covid", rappelle Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT. Les Commissions n’ont en effet pas chômé pendant la crise en mettant en œuvre des campagnes d’information sur les mesures sanitaires ou en installant des dispositifs de prévention sur les futurs conflits prévisibles.
De nouveaux espaces de dialogue social ?
Pour François Hommeril, les CPRIA peuvent avoir un rôle à jouer dans le monde social qui se dessine : "Le dialogue social national s’est asséché. Le Gouvernement y a contribué par ses attaques de front contre les partenaires sociaux et ses interventions incessantes dans nos négociations ; le Medef l’y a aidé par son manque de confiance envers les syndicats".
"L’un de nos objectifs, est de créer de nouveaux territoires du dialogue social et la TPE en est un. Nous appelons à un développement du dialogue social dans l’intelligence et dans le respect afin de développer les territoires économiques."
La TPE, refuge d’un dialogue social essoufflé ?
"Il y a des choses à créer dans les dix ans à venir au niveau des CPRIA. Parmi nos urgences figure notamment la création d’un espace digital où les partenaires sociaux pourront faire remonter les bonnes pratiques du terrain et ainsi partager les expériences", avance Jean-Christophe Repon, président de la Capeb et vice-président de l’U2P.
D’ores et déjà, les organisations partenaires se sont engagées à poursuivre les travaux engagés en matière de qualité de vie au travail, conditions de travail et prévention des risques, de qualité de l’emploi, d’égalité femmes-hommes, de formation et de promotion des activités sociales et culturelles.
Mais toujours avec la contrainte de le faire sans réel espace de négociation. Et avec la nécessité de se faire davantage connaître…
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