Droit de suite

Guichet unique des entreprises : un mal pour bien ?

Le 16/05/2023
par Sophie de Courtivron
Au 1er janvier 2023, le guichet unique a remplacé les six anciens centres de formalités des entreprises (CFE), parmi lesquels les CMA et l’Urssaf (micro-entrepreneurs). Un feuilleton à rebondissements a alors commencé : attaque informatique, bugs pour les utilisateurs, solutions transitoires, etc. Pourquoi simplifier est-il si complexe ?
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En application de la loi Pacte de 2019, le guichet unique des entreprises a pour vocation de simplifier les formalités inhérentes à la vie des entrepreneurs (création, modifications, cession…).

La litanie des complications survenues sur cette plateforme gérée par l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) est longue comme un jour sans pain. En plus de la complexification des procédures (demandes réitérées, davantage de justificatifs à fournir…) et d’une hotline saturée, il y a eu de vrais couacs.

Par exemple, la non-réception du numéro Siret, qui empêche l’entrepreneur de débuter son activité, de créer un compte bancaire professionnel… "Si le bail est signé et que le loyer tombe, il faut pouvoir ouvrir le commerce, faire du chiffre d’affaires et payer les salariés. Comment faire si je ne peux pas les déclarer ?", dénonce Cécile de Saint-Michel, présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables (CNOEC).

Elle insiste de plus sur la "quasi-impossibilité de créer une entreprise quand le guichet unique a été mis en place, faisant ainsi courir un risque à l’activité économique". Qu’en est-il aujourd’hui ?

Des soins palliatifs

Nous sommes actuellement (enquête réalisée fin mars, NDLR) dans une période de transition qui peut se résumer ainsi : un guichet unique dorénavant opérationnel pour les créations d’entreprise ; un site guichet entreprises qui a été rouvert pour résoudre les problèmes et qui envoie les demandes aux différents centres de formalités.

La bascule vers le guichet unique se fait ainsi progressivement : "Les cessations d’activité y sont possibles depuis le 20 mars et, pour les modifications, ce sera au cours du mois d’avril", affirme Bercy.

En parallèle, la voie papier a été temporairement autorisée pour certaines formalités et le portail d’Infogreffe a repris du service le 20 février pour les entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés (modifications et cessations).

Selon Bercy, "au 1er juillet, le guichet unique sera l’unique point d’entrée pour l’ensemble des formalités."

Le ministère de l’Économie fait d’ailleurs amende honorable. "Le guichet entreprises – qui constituait une solution transitoire – a été moins robuste que nous l’avions anticipé, le cumul avec le guichet unique a créé beaucoup de dysfonctionnements." Il se veut aussi – plus ou moins – rassurant. "S’il y a de nouvelles difficultés, nous saurons prendre les mesures qui s’imposent…"

Néanmoins, trop d’entrepreneurs restent encore en souffrance, malgré les solutions trouvées. "Le
dépôt des comptes annuels auprès du greffe du tribunal de commerce est une obligation vitale pour les sociétés. À ce jour, cela prend 4 à 6 fois plus de temps. Le danger qui guette nos entreprises est l’absence d’information des tiers sur le dépôt des comptes annuels, qui entraînera l’impossibilité d’obtenir des financements ; les relations avec les clients et fournisseurs s’en trouveront également affectées, illustre Cécile de Saint-Michel. En même temps, des comptes disparaissent, ce qui est intolérable."

Les micro-entrepreneurs, qui bénéficiaient d’un système rodé et rapide, ont largement pâti de la transition (pour s’inscrire, passage de 6 à 39 écrans et de 20 à 196 questions… !).

"3.500 auto-entrepreneurs par jour se vautrent encore dans le système. Les 150.000 premiers à s’inscrire en janvier, qui n’ont pas eu de réponse, se sont réinscrits : il y a des doublons", pointe François Hurel, président de l’Union des auto-entrepreneurs (UAE). À qui la faute ?

Des failles dans le protocole

L’Inpi, spécialisé dans la protection des marques et l’innovation, s’est proposé pour gérer le guichet unique. "On a voulu un tiers de confiance", explique Bercy. "De plus, le sujet de la propriété industrielle n’est pas suffisamment développé dans les entreprises ; l’idée sera de mettre des briques
sur cette plateforme unique."

Précisons en outre que, plus généralement, le contexte n’était guère "porteur" : "Il y avait plus d’opposants que de gens favorables à la réforme, nous avons perdu du temps en amont", entend-on du côté de Bercy.

Certains CFE monétisaient en effet leurs formalités. Le choix de l’Inpi reste peu pertinent pour d’autres. "Ce n’est pas le boulot de l’Inpi de simplifier des processus électroniques, ils ne savent pas faire", résume François Hurel.

Bercy reconnaît que l’expérience a "modifié les usages de l’Inpi en termes de flux, qui sont considérables par rapport à ce que gérait l’opérateur".

Ces écueils auraient-ils pu être évités ? Oui, si les personnes concernées avaient été impliquées. Le sénateur du Rhône Gilbert-Luc Devinaz, qui s’est rendu à l’Inpi le 8 février, dans le cadre de la délégation aux entreprises, en revient avec les idées assez claires.

"Informatiser, ce n’est pas mettre sous forme informatique un bordereau écrit. À ce défaut technique, j’ajouterais un défaut de démarche : on n’a pas assez associé le terrain, nous confie-t-il. Quand l’Inpi parle des chambres de métiers et de l’artisanat, elles sont considérées comme des acteurs et pas comme des partenaires. Or, quand on travaille sur un guichet unique, il faut considérer comme des partenaires les gens dont les méthodes de travail vont changer."

Problème de méthode encore, "lors de nos échanges avec l’Inpi pendant l’année 2022, nous n’avons testé que les créations d’entreprise, jamais les modifications…", note Cécile de Saint-Michel. Trop pressé, le Gouvernement ?

SUR LE TERRAIN FORTE IMPLICATION DES CMA

Le sénateur du Rhône Gilbert-Luc Devinaz, co-rapporteur d’une mission "Simplification des règles et normes applicables aux entreprises", a rencontré la CMA Auvergne-Rhône-Alpes à propos du guichet unique le 17 février dernier. "J’ai touché du doigt ce qu’une chambre peut vivre. La personne qui s’occupe des entrepreneurs rencontrant des problèmes (entreprises non créées, modifications non enregistrées, fin ou cessations pas confirmées…) n’est pas loin du burn-out. Le travail était auparavant bien fait et, aujourd’hui, les personnes viennent exprimer leur mécontentement : quelle frustration !  De plus, les CMA voient leurs moyens réduits… Tout ça vient se cumuler. Mon point de vue politique, c’est que le gouvernement actuel fait peu de cas des corps intermédiaires." Le rapport de la mission sera rendu fin juin…

Enseignements et résilience

Avec la nouvelle échéance du 1er juillet, le guichet unique aura six mois de retard. Un retard anticipé par la loi. "Un arrêté de la Première ministre permettait d’envisager des solutions en cas de dysfonctionnement", précise Bercy. Ces six mois n’en sont pas moins instructifs.

"Le législateur a fait le choix d’un calendrier très ambitieux, un calendrier plus détendu aurait été bienvenu. Nous retenons de ne jamais sous-estimer, dans ce type de projets, le non-technique ; il aurait fallu embarquer plus tôt l’ensemble des parties prenantes, faire un travail de pédagogie", poursuit Bercy.

Les péripéties traversées ont eu le mérite de rapprocher tout le monde. Cécile de Saint-Michel salue la relation nouée avec le ministère, et avec l’Inpi.

"Ces derniers sont venus nous voir, nous avons exposé nos difficultés, ils travaillent dessus ; ils sont présents pour notre réseau (webinaires, rencontres…) et font énormément d’efforts. Nous avons un accès direct à une assistance spécifique pour les experts-comptables."

Bercy organise tous les 15 jours des réunions avec les professionnels du chiffre et du droit, en plus d’un comité de pilotage hebdomadaire où mandataires et greffiers sont associés. "Nous embarquons les propositions des mandataires, nous aurions pu dès le départ mettre plus les utilisateurs au cœur du sujet."

Mais, pour d’autres, la fracture est plus sérieuse et on ne peut pas se contenter de "réparer". "La catastrophe, ce seraient des corrections à la marge, tonne François Hurel, qui prône une remise à plat de tout. Il faut passer d’une conception statique des formulaires à une conception dynamique de l’occurrence. C’est compliqué, mais les compétences existent. Bercy a fait le prélèvement à la source, il faut voir la qualité de ce service ! S’il faut attendre jusqu’à octobre, ça ne changera pas la face du monde. Le tout c’est qu’on ne perde pas l’idée."

L’idée de faciliter la vie des entrepreneurs. De simplifier leur quotidien pour le bien de l’entreprise, et de la société. Jusqu’à aujourd’hui, on en est loin. Les chiffres de l’économie n’expriment cependant pas tous ces aléas.

"Si l’on regarde les créations d’entreprises en janvier et février, il n’y a pas de baisse ; la baisse très marginale de janvier est liée à l’anticipation des entreprises en décembre", observe Bercy, qui plaide pour davantage de compréhension face à cette révolution sociologique, technique et opérationnelle qu’est le guichet unique.

"Le système était loin d’être parfait. Il faut que les citoyens aient un peu d’indulgence, tout changement nécessite de l’adaptation."

Bercy réaffirme par ailleurs sa confiance dans l’Inpi. Et la confiance des entrepreneurs, où en est-elle ? Ils seront fixés le 1er juillet…

CHIFFRES CLÉS

  • 266.000 : C’est le nombre de formalités enregistrées à mi-février sur le guichet unique (145.000 créations, 85.000 modifications et 36.000 cessations). Source : ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.
  • Le guichet unique résulte de la fusion des 1.400 guichets des 6 CFE. Source : Question orale du sénateur G-L Devinaz, JO Sénat du 16/03/2023.
  • En février 2023, le nombre total de créations d’entreprises rebondit (+ 2% après ‑ 4,4% en janvier) grâce au rebond des immatriculations de micro-entrepreneurs (+ 3,4% après ‑ 1,6%). Source : Insee • 24/03/2023.
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