Entretien

Auto-entrepreneurs : 10 ans d’un régime contesté

Le 21/11/2019
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
Le président du réseau national des Chambres de métiers et de l'artisanat, Bernard Stalter, développe son point de vue au sujet du régime de la micro-entreprise, dix ans après sa création sous l'appellation "auto-entreprise".
Partager :
Portrait de Bernard Stalter, président de CMA France

Quel est votre avis sur le régime de micro-entrepreneur ?

En 2009, lors du lancement du régime de l’auto-entrepreneur, présenté comme une révolution, CMA France avait déjà alerté les pouvoirs publics sur les problématiques que ce dispositif allait engendrer. En 2019, avec une décennie de recul, ce régime touche toujours l’artisanat. Les micro-entreprises représentent désormais une création d’entreprise artisanale sur deux. Ce n’est pas négligeable. Or je déplore des effets sur la création d’emploi, sur la pérennisation des entreprises et leur capacité à se développer. Ce régime est là pour lancer une activité, pas les concurrencer.

Pour retrouver la dynamique de créations d’entreprises durable et pérennes, je maintiens que le régime de la micro-entreprise doit être limité dans le temps. Pourquoi pas deux ans ? 

Le gouvernement avait annoncé en septembre vouloir mettre fin à l’exonération partielle de charges sociales dont bénéficient les micro-entrepreneurs pendant leurs trois premières années d’activité. Je suis favorable à cette proposition. Elle permettrait de revenir à l’esprit de la micro-entreprise, à savoir une première étape pour tester son idée de création d’entreprise dans l’artisanat et un tremplin vers la création d’une entreprise durable. Le chef de l'Etat semble en avoir conscience en l'ayant évoqué lors de son déplacement à Rodez lors d’un débat sur les retraites il y a quelques semaines. En revanche, l'exécutif n'est pas allé jusqu'à confirmer son intention de limiter le statut de la micro-entreprise. Ce serait pourtant indispensable : notre économie a plus que jamais besoin d’entreprises qui forment nos jeunes et qui créent de l’activité et de l’emploi dans nos territoires. Nous devons aller plus loin dans la demande.

Quelles sont pour vous les principales causes de déséquilibre entre les micro-entrepreneurs et les artisans ayant un autre statut ?

A long terme, le régime de la micro-entreprise crée une concurrence déloyale en termes de charges. Revenus faibles, concurrence déloyale, le régime de la micro-entreprise continue d’engendrer des dérives impactant directement les véritables entreprises artisanales qui paient toutes les charges afférentes à leur activité. Par exemple, les micro-entrepreneurs ne sont pas assujettis à la TVA. Cette situation leur permet tout de même d’être 20 % plus compétitif par rapport aux autres artisans dits classiques sur leurs prestations et savoir-faire. 

Pensons aussi à préserver le financement de notre modèle social et à assurer une véritable retraite pour ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat : une retraite dépendante aujourd’hui du chiffre d’affaires contrairement à une entreprise de droit commun. La limitation dans le temps est une mesure primordiale pour permettre aux entreprises de se développer, mais aussi et surtout pour permettre aux artisans de pouvoir travailler et vivre dignement grâce à des conditions fiscales et sociales justes. Les micros-entrepreneurs ne doit pas oublier ce point important.

Techniquement, quelles sont les failles de ce régime par rapport aux autres ?

Selon une étude réalisée par l’INSEE en 2017, 77 % des micro-entrepreneurs disparaissent avant cinq ans. Il faut souligner que la mise place de ce régime a généré beaucoup de confusion entre « créer son activité » - autrement dit, son emploi - et créer une véritable entreprise. Leur démarche est celle d’hommes et de femmes qui recherchent une activité complémentaire ou, poussés par le recul de l’embauche salariale, ont la volonté d’entreprendre. De plus, les micro-entrepreneurs n’embauchent pas d’apprentis ce qui fragilise la transmission des savoir-faire, la formation et l’emploi. 

Comment encourager les micro-entrepreneurs à changer de statut ? Quelles actions concrètes peuvent permettre de les capter ?

Ne soutenons pas une vision faussée de l’entrepreneuriat. La micro-entreprise comme aide pour démarrer, pourquoi pas et le réseau des CMA est là pour les accompagner au mieux et permettre aux entrepreneurs de choisir le statut le plus adapté. La micro-entreprise comme modèle économique est, une fausse bonne idée. La vertu de l’entreprise est qu’elle se développe !

C’est pour cela que nous pensons que l’EIRL est une bonne solution. Une expérimentation se déroule actuellement pour tester, auprès des entrepreneurs, la connaissance et l’intérêt pour le régime de l’EIRL.
Entreprendre dans l’artisanat est une aventure aussi exigeante qu’enthousiasmante. Le porteur de projet doit réunir de multiples compétences, les savoir-faire techniques et professionnels liés au métier concerné bien sûr, mais également des capacités dans les domaines du commerce et du marketing, de la gestion administrative et financière, du management, sans oublier une connaissance des réglementations, du code du travail.... C’est dire si le chef d’entreprise artisanale, qui dispose rarement de toutes ces compétences a besoin d’être accompagné. Le rôle des CMA, leur cœur de métier, est de les aider au mieux pour les aider à transformer l’essai. 

Avez-vous été sollicité, consulté dans le cadre du développement de la politique d'accompagnement des Urssaf (accompagnement des auto-entrepreneurs à la création d'entreprise, accueil physique renforcé, accompagnement en cas de difficulté) ?

Sur ces expérimentations, nous sommes vigilants sur la place donner aux consulaires dans ces initiatives. Mais on ne peut pas imaginer une expérimentation sur un « guichet unique » d’accueil des micro-entreprises sans que nous soyons pleinement associés.
 

>> Lire aussi : Le micro devenu macro

Partager :
Contenu(s) lié(s)