Droit de suite

Allocation des travailleurs indépendants (ATI): démagogie ou réalité ?

Le 22/02/2021
par Sophie de Courtivron
Entrée en vigueur le 1er novembre 2019, l’allocation-chômage pour les travailleurs indépendants, promesse du candidat Emmanuel Macron à la présidentielle, n’est pas parvenue à atteindre ses cibles : les entrepreneurs perdant leur activité. État des lieux de la situation, pas forcément bouchée…
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Pas moins de 800€ pendant six mois. Voilà ce à quoi peut prétendre un travailleur indépendant (TI) en cas de perte d’activité, selon certains critères :

  • avoir exercé une activité non salariée sans interruption pendant au moins deux ans dans une seule et même entreprise ;
  • cessation d’activité à cause d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement judiciaire ;
  • être inscrit à Pôle emploi ;
  • avoir un revenu d'au moins 10.000€ par an sur les deux années qui ont précédé la cessation ;
  • disposer de ressources personnelles inférieures au montant du RSA.

Cette allocation provient d’un financement collectif (prélèvement sur la CSG) et ne coûte rien à l’État. Serait-ce pour cette raison qu’il négligerait sa mise en œuvre?

Une situation brouillée

En 2020, près de 23.500 chefs d’entreprise sont passés au tribunal de commerce pour une liquidation judiciaire, d’après Anthony Streicher, président de l’association GSC, qui propose des solutions d’assurance-chômage aux travailleurs indépendants.

"Seulement 10 % d’entre eux (2.300 personnes) ont demandé l’ATI à Pôle emploi ; un tiers a pu bénéficier d’une ouverture de droits ; un tiers se l’est vu refuser, et un tiers a son dossier en cours de traitement", détaille-t-il.

Il faut dire que quatre mois après l’entrée en vigueur de l’ATI, la Covid paralysait l’activité et le Gouvernement mettait peu à peu en place des aides mettant les entrepreneurs sous perfusion, perturbant les chiffres des défaillances (-39 % sur l’exercice 2020 par rapport à 2019).

"Il y aurait sans doute eu plus d’indemnisés sans la crise, pose Pierre Burban, secrétaire général de l’U2P. Mais un jour ou l’autre il faudra payer la facture. Attention alors à l’explosion des charges, qui pourraient créer des liquidations en cascade…" Et si d’ici là l’ATI devenait opérationnelle ?

Un mode opératoire rédhibitoire

"Nous n’étions pas demandeurs, le sujet était complexe", se souvient Pierre Burban, dont l’organisation a travaillé sur les conditions d’éligibilité ; pour lui, les critères exigés "ne sont pas démesurés" et le montant reste "acceptable".

En revanche le processus est pour Anthony Streicher inadapté : "Le chef d’entreprise qui sort du tribunal vient de vivre un traumatisme (tout ce dans quoi il a investi son énergie est fini) et doit encore se justifier, remplir un dossier pour Pôle emploi ? À l’heure du digital, la transmission ne pourrait-elle pas être automatique ?", s’insurge-t-il.

S’ajoute à cela un défaut criant d’information des TI. "Lors de la création, on ne les prévient pas des risques et des manières de se protéger ! Car neuf fois sur dix, quand il est au courant, le chef d’entreprise met en place une solution." 

99 % des entrepreneurs pensent donc qu’entreprendre c’est assumer seul les risques pris.

"L’État devrait au moins s’assurer que l’allocation, prélevée sur tout le monde, est efficace !" Surtout que l’entrepreneur soutenu "rebondit en général dans l’année".

Quelles solutions ?

À côté d’offres assurantielles privées, l’association GSC a été créée il y a 40 ans par l’U2P, la CPME et le Medef. "C’est dans notre ADN de proposer une assurance perte d’emploi à tous les entrepreneurs, précise Anthony Streicher. Les chefs d’entreprise choisissent en général d’être couverts au plus près de leurs revenus antérieurs et pour une courte durée, soit 70% pendant un an. Cela coûte toujours moins cher que ce que l’on cotise pour un salarié. Un artisan avec un revenu de 45.000€ par an peut toucher 31.500€ d’indemnités pour une cotisation de 1.500€ par an".

La réforme par l’État de l’assurance chômage en cours ne concerne que les salariés, et quoi qu’il en soit les TI ne veulent pas d’une assurance-chômage qui entraînerait la hausse de leurs cotisations, déjà trop élevées.

Il n’en reste pas moins que le ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises, Alain Griset, a ouvert quatre chantiers sur les indépendants. L’un d’eux a pour thème la protection sociale.

"Le ministre veut que l’on regarde les droits des travailleurs indépendants, ce qui existe, et les différences avec les droits des salariés ; peut-être que le chômage pourrait rentrer dans ce sujet ?", conclut Pierre Burban.
 

Chiffres clés

  • D’après Anthony Streicher, seuls 25.000 indépendants sont couverts contre le chômage, faute d’informations.
  • Selon l'Urssaf, la France compte 3,6 millions de travailleurs indépendants (dont 1,7 million de micro-entrepreneurs).
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