Interview

Dimitri Pavlenko : « les artisans sont soumis aux grands vents de l’économie »

Le 07/11/2022
par Propos recueillis par Sophie de Courtivron
Le journaliste et chroniqueur de radio et de télévision nous éclaire sur la notion de pouvoir d’achat, omniprésente dans le débat public. On apprend ainsi que ce dernier n’a pas baissé depuis l’an 2000, mais que le sentiment de dépossession des Français n’en est pas moins réel. Décryptage de ce paradoxe.
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Comment a évolué le pouvoir d’achat au cours des XX-XXIe siècles ?

Le pouvoir d’achat a été multiplié par 4,5 sur l’ensemble du XXe siècle, mais essentiellement entre la fin des années 50 et la fin des années 70-80.

C’est une période de plein-emploi, les salaires progressent, l’industrie aussi !

D’où des forces déflationnistes : le prix d’une machine à laver est divisé par plus de 23, celui de l’huile par 8... Le pouvoir d’achat est gagnant.

Le choc pétrolier, l’émergence de concurrents internationaux et européens, entre autres, font cesser cela.

La bataille du pouvoir d’achat passe donc du terrain des salaires au terrain des prix (pour perpétuer l’augmentation du niveau de vie) ; la politique européenne empêche par exemple la constitution de grands monopoles pour garantir aux consommateurs les meilleurs prix.

Entre 1995 et 2015, on perd la moitié de nos usines (délocalisations, désindustrialisation) ; d’où ce sentiment de dépossession des Français...

Et aujourd’hui, le pouvoir d’achat a-t-il baissé ?

Non. Le sentiment de paupérisation des Français est contredit par les statistiques publiques : le revenu disponible brut (salaires, prestations sociales, etc.) a augmenté de 60 % en 20 ans.

L’inflation est quant à elle de 40 % (jusqu’à aujourd’hui) ; on observe donc une progression de 20 % du pouvoir d’achat, alors que les Français se sentent plus pauvres.

Les causes sont économiques : progression des dépenses contraintes dans les budgets (dans les années 60, le logement représentait 12 % des revenus, on est à 30 % aujourd’hui... parfois 50 %), phénomène de montée en gamme (inflation par les normes, etc.). On constate aussi le creusement des inégalités.

Comment cela va-t-il évoluer ?

Il y a une volonté forte de réindustrialiser le pays. Le vieillissement de la population et le rétrécissement naturel de la population active vont rendre le pouvoir de négociation aux travailleurs, et sera bénéfique aux salaires ; avec la transition écologique, demain sera plus cher ; on observe aussi un découpage du monde entre une zone chinoise et une zone occidentalo-américaine : cette « mondialisation entre amis » aura un effet sur les prix.

Et les artisans dans tout ça ?

Les artisans sont face à une armée de grosses entreprises qui ont plus de pouvoir qu’eux, ils ont peu de marges de manœuvre face à l’inflation de leurs coûts.

En termes de tendances de consommation, l’inflation des normes ouvre un marché gigantesque au BTP ; pour les commerces de bouche, l’effet « manger local » dû au Covid est aujourd’hui victime de l’inflation.

Les artisans sont, beaucoup plus que par le passé, soumis aux grands vents de l’économie.

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