Notre-Dame de Paris

Le Bras Frères : chronique d'une résurrection

Le 07/01/2020
par Sophie de Courtivron
Chargée de l’échafaudage de la flèche de Notre-Dame de Paris, l’entreprise Europe Échafaudages (Meurthe-et-Moselle), filiale de Le Bras Frères, a été accusée d’être responsable de l’incendie, puis récompensée pour son professionnalisme. Focus sur les coups encaissés et sur les réactions exemplaires des dirigeants. Focus sur la façon dont des hommes ont sauvé leur entreprise, et la cathédrale.
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15 avril 2019

19h

Julien Le Bras, président de Le Bras Frères (300 personnes) et d’Europe Échafaudages (60 personnes), apprend le départ de l’incendie. Il quitte immédiatement la Lorraine et file vers Paris, accompagné de son père Sylvain et de Didier Cuiset, directeur d’Europe Échafaudages. « Nous entendons à la radio que  le procureur dit que l’incendie ne vient pas d’un attentat  mais qu’il est lié aux travaux. C’est très violent pour nous », confie-t-il. Une annonce faite après une heure d’enquête en plein brasier…

20h

« Nous appelons nos équipes (ndlr, douze salariés ont travaillé sur le chantier dans la journée). Elles sont formelles : l’entreprise n’est pas responsable. » Les dirigeants anticipent tout ce qui va pouvoir se passer. « Nous savons que la justesse de nos réactions dans les 72  heures va déterminer l’avenir de l’entreprise ; nous décidons d’être à l’initiative de tout et de ne pas subir. »

22h

« Nous allons nous présenter aux autorités. Les entreprises, la Drac, le clergé, etc. sont en auditions libres cette nuit-là. Nous détaillons nos procédures. »

16 avril 2019

Matin

Réunion de crise sur le parvis. Le pignon nord menace de s’effondrer. Sylvain Le Bras crayonne un projet de consolidation. « Nous le photographions, l’envoyons à notre bureau d’études, il est modélisé en 3D. Le temps que les pompiers fassent le tour de la cathédrale, nous pouvons le présenter aux officiels. Ils nous accordent leur confiance. Nous avons 24  heures pour agir. »

11h30

Sur le parvis, Julien Le Bras prend la parole devant une centaine de journalistes de tous pays. Il explique que l’entreprise a respecté les consignes de sécurité, draconiennes (la cause de l'incendie est encore inconnue aujourd'hui). « Nous avons très vite contacté nos conseils pour avoir une assistance en communication de crise ; j’ai rédigé moi-même le communiqué, que je voulais sincère. »

Soir

L’entreprise met en place une cellule psychologique pour ses salariés. « Dès la veille, nous sommes harcelés. Je ne réponds pas. Nous avons choisi de ne pas rentrer dans les polémiques. La presse raconte tout et n’importe quoi. Nous sommes insultés, menacés ; des enfants de salariés ont même dû être déscolarisés ! Quarante journalistes campent devant nos locaux, certains suivent des salariés jusqu’à leur domicile… Ce fut très dur pour nos hommes, des passionnés qui s’investissent, de voir l’entreprise critiquée. »

17 avril 2019

Le pignon nord est sécurisé. L’entreprise a pour cela sollicité ses salariés aux quatre coins de la France ; « 40 m3 de bois de charpente ont été rapatriés d’urgence ; nous l’avons taillé au pied de Notre-Dame et avons levé la charpente dans la nuit. Nous serons félicités par le ministère de la Culture. » L’entreprise n’a pas communiqué sur cette prouesse.

18 avril 2019

L’entreprise est lâchée par ses assureurs crédit. Elle organise une réunion avec ses banquiers, juristes, assureurs. Les banques lui restent fidèles, « malgré de gros investissements à venir pour mener à bien les travaux de consolidation ».

19 avril 2019

Une réunion des salariés est organisée. Tous répondent « présent » et sont prêts à s’impliquer (jour et nuit pour certains). « Cette solidarité et cette énergie admirables sont les fruits d’années de travail main dans la main dans une bonne ambiance. »

22 avril 2019

La presse locale est invitée dans l’entreprise. Peu de journalistes viennent. Julien Le bras répond à 30 minutes de questions. « Ensuite, nous avons uniquement accepté les reportages mettant en valeur nos savoir-faire » (comme Des Racines et des Ailes, France 3).

10 septembre 2019

Le Bras Frères et Europe Échafaudages reçoivent un prix d’honneur lors des Trophées de la construction.

Aujourd'hui

Le Bras Frères assure les deux-tiers des travaux de Notre-Dame. Les assurances crédit sont revenues. Si certains clients furent solidaires (en acceptant le retard de leurs chantiers), quelques combats juridiques sont en cours. « La situation commence seulement à se stabiliser. Nous aurions aimé être officiellement réhabilités, mais nous nous contentons d’agir avec dignité et de faire notre métier. L’honnêteté et la sincérité payent toujours. »

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