Interview

Olivia Grégoire : « cibler les aides vers ceux qui en ont le plus besoin »

Le 08/11/2022
par Cécile Vicini
En été 2022, Olivia Grégoire a été nommée ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme à Bercy. Issue d’une famille ancrée dans l’entrepreneuriat et fermement engagée pour « ceux qui fabriquent de leurs mains », elle témoigne de son attachement aux valeurs du savoir-faire et nous fait part des grandes lignes de son projet politique. Rencontre.
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Un lien affectif avec les TPE/PME

Le ministère de l’Artisanat et du Commerce n’a pas été attribué à Olivia Grégoire par hasard : elle a évolué dans une culture de l’entrepreneuriat, entourée de ses deux parents « commerciaux ».

En 1995, son père décide de monter sa propre structure spécialisée dans les photocopieurs et les télécopieurs. Un exemple qui s’élargit également à son oncle qui était, lui, spécialisé dans les barrettes à cheveux et dans les peignes.

Cette liberté, valeur cardinale de l’entrepreneuriat, apporte certes son lot de gratifications, mais elle se couple aussi à des complications, dans la mesure où elle n’est pas toujours synonyme de sécurité.

Cette vulnérabilité se retrouve chez beaucoup d’indépendants sur beaucoup de points : d’une part la prise de risque, le fait de se mettre en position risquée, et l’autonomie.

Une admiration pour le savoir-faire

« Dans mon bureau, il y a trois hameçons réalisés par une entreprise artisanale qui est une des plus vieilles de France. Elle a été créée en 1796. Elle véhicule un savoir-faire artisanal unique : les triple-hameçons, les "carnassiers". Il y a aussi un petit avion en bois qui a été réalisé par un artisan retraité bourguignon ».

Dans un monde qui ne cesse de progresser et d’innover, la ministre a tenu à rappeler son profond respect pour les artisans « qui font de leurs mains, qui fabriquent, qui créent », et son soutien aux valeurs qui donnent du sens, à l’activité économique du pays d’une part, et d’autre part qui jouent un rôle dans l’attrait ressenti par les plus jeunes vis-à-vis de l’artisanat.

« Je me suis rendu dans une entreprise française artisanale, Le Soulor, (Béarn), qui fabrique des chaussures d’escalade. C’est un savoir-faire ancestral lié aux bergers des Pyrénées. Ces artisans sont exceptionnels, et c’est exactement ce pour quoi je me lève le matin, j’admire ces gens-là ».

Pour rappel, la rédaction du Monde des Artisans avait déjà rencontré le patron de cette entreprise artisanale. Il avait été une partie de sa vie expatrié en Asie. Il est ensuite revenu dans son Béarn natal pour reprendre l’entreprise.

« Le gérant me disait qu’il arrivait à attirer au pied des Pyrénées des apprentis extrêmement doués dans la tannerie, le cuir et la maroquinerie. Avec la notoriété de sa petite entreprise artisanale, il attire des profils chassés par les plus grandes maisons de luxe. »

La rencontre avec un homme d’exception

Alors qu’elle travaillait sur la loi Pacte fin 2019, Olivia Grégoire a rencontré Bernard Stalter, l’ancien président de CMA France, décédé en 2020 en pleine crise sanitaire.

« J’ai rencontré un artisan avec un grand "A", un homme fier de son savoir-faire, fier de ses bacchantes, fier des coiffeurs, fier de l’excellence artisanale française. »

« Il m’a témoigné une profonde gratitude que je n’oublierai jamais : "Dans la loi Pacte, vous avez entendu et écouté un certain nombre de sujets des artisans. Ces artisans veulent vous en remercier" ».

« L’intelligence de la main »

« Quand je vois l’engagement des jeunes dans l’apprentissage, le retour du sens, je suis encore plus fière d’être aux côtés des artisans. Très injustement, certaines de leurs compétences ont été minorées, voire sous-estimées, et ce pendant des années par un certain milieu intellectuel ».

La ministre est également revenue sur la fameuse « Intelligence de la main », expression de Jean-Pierre Raffarin qui avait été moquée à l’époque par la presse.

« L’intelligence de la main, c’est celle des artisans, et je crois que c’est un des vecteurs pour redonner du sens au travail. L’appétence des jeunes pour ces métiers me donne plutôt raison en termes de tendance ».

Des projets de simplification à venir

Dans les prochains mois, un certain nombre d’engagements signés pendant la loi Pacte seront mis en œuvre, notamment avec l’ouverture en janvier 2023 du Guichet unique pour les formalités dont doivent s’acquitter les entrepreneurs sur les questions de création, de cession, et de transmission.

Qu’est-ce que ce guichet va changer dans le quotidien des artisans ?

À ce jour, lorsqu’un professionnel veut créer son entreprise, ou déclarer un déménagement ou toute autre modification dans la vie de son entreprise, il doit identifier le bon interlocuteur (la chambre des métiers et de l’artisanat, le greffe du tribunal de commerce, ou encore le service des impôts).

Avec le guichet unique, toutes ces démarches seront faites sur un portail en ligne, sans que le déclarant ait besoin de rechercher le bon service pour sa demande.

Un engagement dans la transition numérique et environnementale

La ministre a manqué sa volonté d’accompagner les artisans dans leur transition numérique et éviter la création d’une économie à « deux vitesses » :

→ Celle des grandes entreprises ou des industriels qui auraient beaucoup de financements et d’investissements de l’État pour mener leur transition environnementale et numérique (30 milliards dans le plan de relance) ;

→ Celle des 1,28 millions d’entreprises artisanales « qui ne seraient pas accompagnées comme elles le méritent ».

« J’ai donc à cœur, à la fois sur la question numérique et sur la question environnementale, d’accompagner très fortement les artisans, les TPE, dans cette mise en œuvre. »

Pour rappel, l’État a déjà entrepris de nombreux chantiers pour accompagner les entreprises vers leur transition numérique :

• L’initiative France Num, qui a été créée en 2018, et qui a permis d’accompagner la numérisation des TPE. Au total, 175.000 entreprises ont été accompagnées entre 2021 et 2022. 112.000 entreprises, dont des entreprises artisanales, ont reçu le chèque France Num de 500 euros qui permet de commercer à engager une partie de leur numérisation.

• Le gouvernement et Bpifrance ont développé cliquemoncommerce.gouv.fr, qui s’adresse à tous les artisans, à tous les commerçants, notamment de l’hôtellerie et de la restauration, qui souhaitent se numériser et développer rapidement une activité en ligne.

•  L’accompagnement des CMA : le financement de 10.000 accompagnements d’entreprises artisanales dans le secteur du tourisme, notamment en vue des JO 2024. 

L’autre grand chantier de cœur de la ministre est la transition environnementale des artisans.

« Quand on est une TPE ou un artisan, que l’on ait en charge une entreprise de chauffage ou de menuiserie, ce n’est pas évident de savoir par quel bout commencer la transition environnementale ».

Les Français (et donc les artisans) sont conscients de la situation environnementale et de ses conséquences. Mais on ne mène pas de la même façon une transition dans une entreprise de 2.000 salariés que dans une entreprise artisanale de 3 salariés.

Alors comment résoudre ce dilemme et ramener la faisabilité de ces vastes questions à l’échelle d’une petite structure ?

« À hauteur d’artisan et à hauteur de TPE, on va amplifier le recours aux aides. Il existe bon nombre de dispositifs pour faire son diagnostic environnemental et se décarboner.»

« Ce problème de non-recours est de même nature que celui qui est rencontré vis-à-vis des aides sociales qui ne sont pas demandées par les personnes éligibles ».

Comment expliquer ce non-recours aux aides ?

On peut aisément envisager qu’un artisan passe plus de temps à faire, ou à être chez ses clients, et n’a pas forcément le volume horaire nécessaire pour entamer des démarches pour recevoir les aides auxquelles il peut prétendre :

« Non seulement le temps manque, mais il faut également tenir compte du labyrinthe que constituent les sites publics. »

« J’ai donc à cœur de faciliter l’accès au diagnostic environnemental pour que chaque artisan puisse avoir accès en ligne à un portail qui lui permettra, en fonction de ses besoins, d’être orienté vers les interlocuteurs dédiés ».

À titre de rappel, les CCI et les CMA ont été dotées de 15 millions d’euros dans le plan de relance pour la réalisation de diagnostics environnementaux dans les TPE. À ce jour, près de 20.000 diagnostics ont déjà été opérés.

Faire reconnaître les aides qui existent déjà

Sur la question du PLF, la ministre a tenu à souligner que l’enjeu n’était pas de faire naître de nouvelles aides, mais au contraire, « de faire reconnaître celles qui existent déjà et qui ne sont pas assez utilisées. »

Le projet de budget pour l’année prochaine a été publié ce lundi 26 septembre et ne contient, pour l’instant que peu de dispositions qui concernent les artisans.

Sur le plan de la compétitivité, plusieurs mesures ont été prises par le Gouvernement pour permettre aux entreprises de maintenir leur activité sur le terrain incertain des crises successives :

• Le passage de 33,33 % à 25 %du taux d’impôt sur les sociétés : « Cela représente un effort important pour les finances publiques, et cela rapproche enfin la France de la moyenne des taux européens » ;

• Le taux réduit à 15 % qui s’applique aux 38.120 premiers euros de bénéfices pour les PME dont le CA ne dépasse pas 10 millions d’euros (auparavant fixée à 7 630 000€ de chiffre d’affaires, ce niveau a été relevé en 2020). Il est prévu dans le cadre du PLF 2023 que le montant du bénéfice imposé à taux réduit soit relevé jusqu’à 42 500€ ;

• La baisse des impôts de production ;

• La diminution de 550 euros des cotisations sociales des indépendants qui se rémunèrent au niveau du Smic.

Par ailleurs, le PLF 2023 prévoit le rétablissement pour deux ans du crédit d’impôt rénovation énergétique pour les PME, afin d’accompagner la transition environnementale des entreprises.

Ce dispositif avait été particulièrement apprécié lors de sa mise en œuvre en 2021. Il permet une aide équivalente à 30 % sur les dépenses d’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments (isolation, chauffage, ventilation mécanique, etc) dans la limite de 25.000 € par entreprise.

Vers une fin progressive de la CVAE

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises rapporte 8 milliards d’euros par an aux collectivités locales. Elle est vouée à disparaître à petit feu, sur une durée de deux ans plus exactement, et ce, pour deux raisons majeures :

→ Continuer la dynamique pour améliorer la compétitivité des petites entreprises ;

→ mais rester responsable sur la maîtrise des finances publiques.

Et les petites entreprises sont tout aussi concernées par la CVAE que les grandes structures :

  • 2 % de TPE ;
  • 32 % de PME ;
  • 41 % d’ETI (entreprise de taille intermédiaire).

En somme, toutes les entreprises seront allégées de cette cotisation, ce qui est une réelle bonne nouvelle pour les dirigeants.

Le succès grandissant de l’apprentissage

On connaît le succès de l’apprentissage, mais comme toujours dans la vie politique, il n’y a pas de hasard. Le succès de l’apprentissage est lié à l’investissement sans commune mesure que cette majorité a fait depuis 2017 en faveur des compétences

15 milliards d’euros : Le nombre de contrats a plus que doublé (290.000 en 2017 on est passés à 730.000 à la rentrée 2021), et le Gouvernement poursuit son soutien avec un objectif ambitieux avec un million de contrats d’ici 2027. 

Plus de 9 milliards d'euros pendant la crise COVID pour 1 jeune 1 solution. Tous ces investissements sur l’apprentissage ces dernières années représentent 24 milliards d’euros, soit l’équivalent du budget de la recherche, de l’innovation et de l’enseignement supérieur (25 milliards d’euros). 

Les aides qui ont été mises en place avaient vocation à enclencher l’apprentissage en accompagnant ceux qui étaient à quelques années du BAC, en lycée pro, ou jusqu’À bac + 2 ou 3.

« Nous avons vocation, comme sur différents pans de l’investissement d’État, à cibler ces dispositifs pour accompagner ceux qui en ont le plus besoin, les entreprises qui en ont le plus besoin, c’est à dire nos artisans, nos TPE ».

« Je préfère que l’on aide ceux qui en ont le plus besoin. C’est le passage du "quoi qu’il en coûte" à une politique plus ciblée, et cela s’applique aussi à l’apprentissage ».

 

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