Formalité

Duerp : selon l’Igas, le gouvernement doit revoir sa copie

Le 09/01/2024
par Benjamin d'Alguerre
L’état des lieux dressé récemment par l’Igas est sans appel : les nouvelles dispositions du document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp), fruits de la loi "santé au travail" d’août 2021, se révéleraient difficilement applicables et nuiraient à la confidentialité des données des entreprises. Ses préconisations seront-elles entendues par l'exécutif ?
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L’accord national interprofessionnel (ANI) "santé au travail" du 9 décembre 2020, puis sa transposition dans la loi "pour renforcer la prévention en santé au travail" du 2 août 2021, ont propulsé le document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) dans une nouvelle dimension.

Cet outil d’identification des risques professionnels (physiques ou psychosociaux) auxquels peuvent être confrontés les salariés sur leur lieu de travail était déjà obligatoire dans toutes les entreprises (publiques comme privées) et accessible tant aux représentants du personnel qu’aux travailleurs (CDD et intérimaires compris).

Avec la réforme de 2021, le Duerp a vu son périmètre étendu : il est devenu accessible aux anciens salariés de l’entreprise, quelles que soient leurs conditions de départ. Cette disposition a mené le gouvernement à encadrer cet accès par décret afin que le secret des affaires ne soit pas mis en danger par des risques de fuite.

Le Duerp a surtout changé de nature passant du statut d’outil de "traçabilité collective des risques" à un instrument de "traçabilité collective des expositions des travailleurs".

Ces modifications ont induit des couacs dénoncés par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport sur le document unique rendu public le 4 janvier dernier :

D’abord, dès lors que le Duerp peut être transmis sur simple demande à tout ancien salarié, difficile d’assurer la confidentialité des affaires des entreprises et le secret de leurs savoir-faire techniques.

Autre difficulté pointée par les inspecteurs : le portail unique de recensement des Duerp sur lequel ils sont censés être conservés durant quarante ans. Jugé infaisable à la fois pour des raisons liées au secret des affaires et à la confidentialité de certaines données, mais aussi du fait d’un cahier des charges imposé par les organisations patronales impossible à tenir, surtout financièrement (chiffré à 15 millions d’euros).

Ensuite, le changement même de nature du Duerp, censé désormais recenser "la traçabilité de l’exposition des travailleurs" plutôt que les risques, pourrait en faire un instrument de réparation des accidents et maladies professionnelles. Et lui faire perdre au passage son rôle d’outil de prévention.

Le Duerp, tel que défini par la loi de 2021, s’articule également mal avec les nouvelles prérogatives des services de prévention et de santé au travail chargés, entre autres, d’établir et de conserver les dossiers médicaux de santé au travail des salariés (des missions nées pourtant de la même loi !).

Ajoutez enfin à cela la mauvaise tenue des documents uniques dans une grande majorité de TPE-PME, voire leur inexistence dans certaines structures publiques…

16 recommandations formulées par l’Igas

Au vu de ces constats, l’Igas incite le gouvernement à réviser le dispositif et liste 16 recommandations, dont certaines induiraient un retour des textes devant le Parlement.

> Priorité : rendre au Duerp sa vocation initiale d’outil de prévention.

L’Igas propose également de substituer le portail national unique et de le remplacer par une transmission systématique et régulière des Duerp à jour aux instances représentatives du personnel, à l’administration du travail et aux services de prévention et de santé au travail.

Le fait de conserver les anciennes versions durant quatre décennies demeurerait mais exclusivement à l’usage des partenaires institutionnels de l’entreprise et non plus aux anciens salariés. Ces derniers n’auraient accès qu’aux informations relatives aux expositions professionnelles, au besoin remis à jour après consultation du Duerp de leur ancien employeur par les services de santé au travail.

Côté entreprises, l’Igas propose de préserver le secret des affaires en apportant l’inscription d’une mention législative "rappelant que l’employeur doit préserver les secrets légaux et protéger la sécurité publique et la sécurité des personnes lorsqu’il tient un Duerp à la disposition d’un ancien travailleur".

Pour renforcer la sûreté, une doctrine de vigilance en matière de rédaction de Duerp, diffusée aux employeurs, serait instaurée afin de les aider à conserver leurs secrets légaux et, le cas échéant, la sécurité nationale. Les ministères du Travail, de l’Économie, des Armées et de la Fonction publique ainsi que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale seraient associés à la création de cette doctrine.

Autre recommandation de l’Igas : mener une concertation tripartite préalable à toute négociation interprofessionnelle, en amont des prochaines réformes de la santé au travail. Elle aurait pour but de vérifier l’applicabilité de la réforme avant de mettre en branle le mécanisme parlementaire…

Enfin, pour pallier les manquements en matière de Duerp dans les TPE-PME et dans la fonction publique, l’Igas recommande de sévir en créant une sanction administrative pour non-respect des différentes obligations liées à la tenue du document.

Consulter le rapport

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