Prestige

Maison Rennotte : trésor en voie de disparition

Le 04/10/2023
par Julie Clessienne
Emmanuel Royer a le sens du devoir… et du sacrifice ! En 2019, avec deux collègues, il reprend la Maison Rennotte alors en liquidation judiciaire. Âpre destin pour l’illustre atelier né 160 ans auparavant et détenteur de savoir-faire en passe d’extinction. Leur travail acharné va rendre à la bronzerie d’art son lustre d’antan. Visite guidée à Frépillon (Val-d'Oise).
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Pour Emmanuel Royer, à la tête de la bronzerie d'art Maison Rennotte, "le prix n’a pas d’importance. Nous nous devons de mettre notre savoir-faire rare à la disposition de tous".

De mémoire de journaliste, jamais visite d’atelier ne s’était encore faite par "visio" interposée. Pourtant, jamais moyen de communication si moderne n’avait si bien restitué la robustesse et la précision de machines-outils utilisées – pour certaines – depuis plus de 170 ans !

C’était sans compter sur la passion et l’enthousiasme d’Emmanuel Royer, de l’autre côté de l’écran, en direct de "sa" Maison Rennotte.

Une pièce maîtresse

Top départ dans les bureaux, clairs et lumineux, pas encore totalement investis : l’entreprise a quitté il y a peu Charenton-le-Pont (Val-de-Marne).

Des créations contemporaines jalonnent l’espace, preuve que le travail du bronze a encore ici des jours très créatifs devant lui.

Une volée de marches : voici l’atelier et sa pièce maîtresse, un impressionnant banc d’étirage à froid. Ce vestige du moulin de la Chatarde à Breuil-en-Vexin (78) servait à confectionner, dès 1859, des baguettes d’ombrelle grâce à l’énergie hydraulique.

Plus de 3.000 références de ceintures et moulures peuvent y être encore façonnées :

"Une technique unique, plus enseignée, détenue par trois de mes collaborateurs : les derniers en France ! De la base brute à la forme escomptée, jusqu’à 20 passes sont nécessaires, entrecoupées d’un recuit, pour éviter d’abîmer le métal et l’assouplir, détaille notre guide du jour. Nos clients sont en quête d’authenticité. Les défauts infimes donnent le charme et la patte artisanale. Impossibles à reproduire de façon industrielle !"

Un charme inimitable

Çà et là, des machines de moindre envergure cherchent encore leur place définitive :

"Nous venons de racheter Bordeux Créations, spécialisée dans l’orfèvrerie, la bijouterie et le petit bronze". Corde supplémentaire à un arc déjà bien fourni.

Tours et détours – prolixes – pour rejoindre la partie "traitement de surface". Les bronzes d’ornement s’y font une beauté : polissage, vernis, patine, dorure (dont celle au nitrate, également en voie d’extinction), à base de pigments naturels ("une mine d’or comparée à la qualité d’aujourd’hui").

"L’atelier est modulable selon l’envergure des projets. Et l’environnement de travail, loin d’être aseptisé : les petites imperfections font aussi le charme du résultat final", souligne Emmanuel Royer.

Poussé par son mantra

Voici donc ce que cherchent ici les initiés : l’excellence et le sens du détail, forgés par des dizaines d’années d’expérience et une connaissance pointue de l’histoire de l’Art.

La liste des clients fait foi : Mobilier national, musées du Louvre ou de New York, Château de Versailles, ébénistes, restaurateurs, architectes d’intérieur, fabricants de mobiliers et de luminaires, antiquaires…

"En ce moment, nous ceinturons de bronze 788 tablettes destinées à un palace renommé, soit 10 semaines de travail pour une personne. Mais nous travaillons aussi avec des particuliers."

"L’envergure des projets n’est pas un critère ; cela va du bouton à 2€ à des commandes à 220.000€. En tant que derniers détenteurs de certains savoir-faire, nous nous devons de répondre à tous", Emmanuel Royer.

Un mantra qui a poussé Emmanuel Royer à sauver littéralement l’entreprise en 2019, alors qu’elle était au bord du précipice et que le Covid menaçait déjà. "J’étais commercial ici depuis une dizaine d’années. Avec deux autres salariés, nous sommes devenus actionnaires."

"Nous n’avons pas compté nos heures, avons sacrifié beaucoup sur les plans personnel et financier, j’ai appris certaines techniques sur le tard mais nous avons redressé la barre !", confie le dirigeant.

Pour la fin d’année, la Maison Rennotte cherche deux collaborateurs, "mais il faudra qu’on double l’effectif en 2024". Le travail et la qualité payent toujours…

POURSUIVEZ LA VISITE

Dates clés

  • 1860 : Fondation de la Maison Rennotte par Dieudonné François Joseph Rennotte, au faubourg Saint-Antoine.
  • Dès 1974 : Rachat de maisons réputées spécialisées dans le bronze d’ameublement ou la dorure sur bronze.
  • 2012 : Contribution aux travaux de rénovation de la galerie des glaces du Château de Versailles.
  • 2019 : Reprise de l’entreprise par Emmanuel Royer et deux collègues. Refonte du site Internet (2020).
  • 2022 : Rachat de la société Esprit du bronze.
  • 2023 : Rachat de la Société Bordeux Créations et obtention du label Entreprise du patrimoine vivant (EPV).
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