Bâtiment

RGE : Reconnu Galère pour les Entrepreneurs

Le 06/01/2021
par Sophie de Courtivron
Dans le cadre du Plan de relance, environ 7 milliards d’euros sont mobilisés pour la rénovation énergétique des bâtiments. Pour bénéficier des aides publiques et/ou associatives, le client doit faire appel à un professionnel ayant la qualification Reconnu garant de l’environnement (RGE). Or les artisans s’en désintéressent. Les évolutions récentes du RGE vont-elles changer la donne ?
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La qualité renforcée

Dans le cadre de la réforme du RGE, actée en juin dernier, il y aura, à compter du 1er janvier 2021, 17 domaines d’expertise différents, contre 12 avant.

"C’est logique, car il y a des règles de l’art spécifiques, à connaître sur le bout des doigts pour éviter la sinistralité", plaide Christophe Waubant, vice-président de Qualibat (qui délivre la qualification RGE), professionnel de l’isolation par l’extérieur et élu FFB.

Mais "plus de domaines de travaux, c’est plus de contrôles, ce qui signifie des coûts supplémentaires (formations, audits...) et plus de démarches administratives", pointe Jean-Claude Rancurel, maître artisan en plomberie-électricité-chauffage dans le Vaucluse, et président du groupe des plombiers-chauffagistes à la Capeb.

→ Parmi les 17 nouveaux domaines, six sont désormais dits "critiques", et à ce titre verront augmenter leur nombre d’audits.

"Le Gouvernement a mis en place un système qui demande une charge administrative aux entreprises, et requiert un peu de rigueur. Mais cela peut servir l’entreprise qui, quoi qu’il en soit, devra évoluer pour prendre en charge l’administratif de façon structurée (pour ses déclarations, etc.)", nuance Christophe Waubant. Si la qualité et la lutte contre les "éco-délinquants" sous- tendent ces nombreux contrôles, pour Jean-Christophe Repon, ils ne constituent pas tout à fait la réponse adéquate : "Les vertueux vont payer pour les non-vertueux ; la fraude relève d’une démarche structurée et les contraintes seront contournées par les fraudeurs." 

En effet, ces derniers forment une catégorie à part. Par exemple, "tel entrepreneur ne pose que du polystyrène et ses travaux seront subventionnés par le CEE (Certificat d’économie d’énergie : carnet d’aides à disposition des particuliers) alors que ce dispositif s’applique à la mise en place d’un système d’isolation global", illustre Christophe Waubant.

Ou encore des sociétés commerciales agressives proposent des offres à 1 € et sous-traitent les travaux à des travailleurs détachés peu consciencieux... "Une loi récente interdit le télémarketing sur les métiers de la rénovation énergétique", précise-t-il.

"Depuis le 1er septembre, il y a une chasse aux éco-délinquants chez Qualibat ; nous passons notre temps à déqualifier les entreprises qui ne respectent plus le cahier des charges." 

Des arrêtés d’octobre renforcent encore la lutte contre les fraudeurs, notamment via la possibilité de partage d’informations entre les différentes instances engagées dans la gestion des aides financières à la rénovation.

Avec des clients en "prime" ?

Un ensemble de carottes financières font de l’œil aux clients et sont corrélées au fait que le professionnel œuvrant pour les travaux est qualifié RGE.

Or avec l’extension susmentionnée des catégories, il est plus difficile aujourd’hui pour lui d’obtenir cette qualification. "Je suis très polyvalent. Sur certains équipements, comme le solaire thermique ou les chauffe-eau solaires, je ne suis plus qualifié faute de références", explique Jean-Claude Rancurel.

Le serpent ne se mord-il pas un peu la queue ? Revenons aux aides. Depuis le 1er janvier 2021, exit le CITE (Crédit d’impôt sur la transition énergétique), bienvenue à MaPrimeRénov ! Cette aide de l’État versée à la fin des travaux comporte quatre niveaux d’aides (et quatre couleurs) correspondant à quatre paliers liés au revenu fiscal du propriétaire, à la localisation du bien et au nombre de personnes composant le ménage.

Différentes surprimes peuvent s’y agréger (gain énergétique de plus de 55%, etc.) ; ajoutez-y les Primes énergie (privées) du dispositif du CEE, les aides d’Action logement, les aides régionales (éco-chèque...) et/ou des collectivités, et pourquoi pas la TVA réduite et l’éco-prêt à taux zéro et... vous serez perdus. Comme le client…

"Avec le CITE, la règle à retenir était très simple (un pourcentage, NDLR.), je donnais le montant de l’aide sans sortir le calculateur ; avec MaPrimeRénov c’est impossible, c’est très difficile de connaître le barème du client, etc. Et il faut attendre l’accord de l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (Anah) pour avoir le montant exact", détaille Jean-Claude Rancurel.

De plus, un certain nombre de retards dans le traitement des dossiers par l’Anah, qui distribue la prime, ont été observés, d'après un article de l’UFC-Que Choisir.

Sans compter que les artisans ont un capital confiance bien supérieur à celui de l’État ! "Mes chantiers en isolation, si je ne les faisais pas avec la qualification RGE, je les ferais de la même façon. Si le client perd le CEE mais est sûr de son artisan, il continue à travailler avec lui", affirme Pascal Burgalière, qui a une entreprise artisanale de maçonnerie-charpente-couverture-zinguerie dans le Tarn-et-Garonne.

Certains consentent à faire des ristournes équivalentes aux aides cumulées. Avec le même résultat qualitatif.

L’isolation : priorité écologique

Avec le plan de relance, la rénovation énergétique va porter le Bâtiment dans les années à venir.

Parmi les évolutions en cours et prochaines touchant le secteur, en plus de la refonte du RGE, citons l’interdiction de chaudières neuves au fioul à partir du 1er janvier 2022 (Convention citoyenne pour le climat), ou encore l’interdiction du chauffage au gaz dès l’été 2021 pour les maisons individuelles neuves et à partir de 2024 pour les logements collectifs (réglementation environnementale des bâtiments neufs - RE2020).

"La RE2020 va vers le tout électrique alors que la France est forte de la mixité de ses énergies. De plus, je crains que le client ne fasse l’amalgame avec le système hybride gaz, qui est un système vertueux, et aille vers le système électrique, qui est loin de l’être", décrypte Jean-Claude Rancurel.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (responsables à trop haute dose du réchauffement climatique), le secteur a un rôle à jouer à travers la réduction du chauffage, donc en isolant bien les bâtiments.

Selon l’association négaWatt, la rénovation et l’isolation passent au second plan et le Gouvernement privilégie l’électricité pour "décarboner" les émissions. En effet, "la part prépondérante du nucléaire dans la production d’électricité contribue à faire du système électrique français l’un des plus décarbonés d’Europe. Or, "si l’on veut répondre aux enjeux (...) de l’urgence écologique, la maîtrise des consommations doit rester la priorité de l’action."

La solution est là. "L’artisanat a une longueur d’avance, nous faisons des maisons positives depuis des années, nous maîtrisons le sujet", pose Pascal Burgalière.

"L’artisanat du Bâtiment fait partie de la proximité, de la ruralité ; nous avons une vision citoyenne, nous sommes investis dans ces changements forts d’énergie pour le bien de la planète", martèle Jean-Christophe Repon.

Pour preuve, dès 2009, suite au Grenelle de l’environnement (2007), la Capeb, impliquée, avait créé la qualification ÉCO Artisan® pour pousser les savoir-faire de ses professionnels vers la rénovation thermique des bâtiments, source majeure d’économies d’énergie.

Le "terrain" est en effet force de propositions. L’élargissement de la TVA à 5,5 % sur toute la rénovation du bâtiment "serait un levier financier important pour lancer les chantiers ; saucissonner le marché ne le dynamise pas", poursuit Jean-Christophe Repon.

À l’arrivée de la mention RGE en 2015, ÉCO Artisan® est devenu Éco Artisan (RGE). "L’État en a fait une usine à gaz. RGE et compagnie : pompes à fric et contraintes administratives", s’insurge un artisan du Bâtiment. Il semblerait qu’à trop exceller dans ces deux derniers domaines, l’État s’éloigne du bon sens et de ses objectifs écologiques affichés.

Quelques chiffres sur la RGE

32% des artisans estiment que la qualification RGE leur a apporté "plus d’avantages que d’inconvénients", 25 % "plus d’inconvénients que d’avantages", 42 % "ni l’un, ni l’autre" et 1 % ne se prononcent pas (Source : Sondage Ifop-Capeb - juin 2019).

66% des artisans estiment que le fait d’attirer de nouveaux clients est le premier bénéfice à être RGE (Source : Sondage Ifop-Capeb - juin 2019).

540 000 logements/an au niveau "bâtiment basse consommation" devront être rénovés entre 2020 et 2030 pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (30 000 ont été rénovés à ce niveau en 2018) (Source : Dossier de presse de l’association négaWatt du 5 mars 2020).

 

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