Interview

"L'Artisanat de demain se construit dès aujourd'hui"

Le 02/11/2017
par Propos recueillis par Samira Hamiche
Le président de l'APCMA, Bernard Stalter, est revenu pour Le Monde des Artisans sur le programme de mandature voté fin septembre par les présidents de CMA. Cette feuille de route met l'accent sur deux dossiers prioritaires : le renforcement de l'apprentissage et la transition numérique des entreprises artisanales et du réseau des chambres.
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Bernard Stalter président APCMABernard Stalter, président de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers et de l'artisanat.

Le Monde des Artisans : Le programme de mandature est le fruit d’un dialogue fédérateur avec les présidents et délégations de CMA. Il est aussi le reflet des réalités du terrain, car comme vous l’avez dit récemment, les politiques publiques de l’Artisanat "ne peuvent pas venir d’en haut." Quel rôle doit jouer le réseau des CMA sur ces politiques ?

Bernard Stalter : Les huit premiers mois de la démarche ont été consacrés à des rencontres sur le terrain, à des échanges avec tous les acteurs du réseau, à des commissions thématiques nationales et territoriales… Ce programme de mandature 2016-2021 est le fruit d’un dialogue constructif et fédérateur. Il a été voté à l’unanimité par les présidents et délégations des CMA. Il s’articule autour de deux axes : développer l’emploi et la formation en renforçant l’apprentissage comme mode privilégié d’acquisition du geste professionnel et de la culture métiers, et faire du numérique un outil incontournable de l’adaptation de l’entreprise artisanale et du réseau des CMA au monde moderne. Il faut désormais que les présidents des Chambres régionales de métiers se rapprochent de leurs conseillers régionaux, pour que demain nous puissions mettre en œuvre nos objectifs. C’est ainsi que nous affirmerons notre rôle d’interlocuteur privilégié des politiques publiques liées à l’artisanat. C’est ainsi que nous donnerons à l’artisanat toute la place qu’il mérite, celui d’un formidable levier dans la mobilisation générale en faveur de l’emploi.

 

Comment travailler plus étroitement avec l’Education nationale et faire changer les mentalités sur l’apprentissage dès le plus jeune âge ?

B. S. : Il faudrait que les CIO dépendent plutôt du Conseil Régional que de l’Education nationale et que le FNPCA et des structures équivalentes continuent à promouvoir nos métiers. Il faut aussi montrer l’exemple de jeunes qui ont réussi. Ils sont les meilleurs ambassadeurs de l’apprentissage. Ils peuvent donner envie à des jeunes qui ont envie de s’engager dans l’artisanat mais que l’on décourage. La semaine de l’artisanat, organisée en partenariat avec l’U2P, est l’occasion pour les CMA d’ouvrir nos CFA, d’observer des ateliers vivants… C’est l’occasion de faire découvrir l’artisanat aux jeunes et aux moins jeunes. En outre, il faudrait que l’ensemble des structures évitent de défendre leur pré-carré. Nous avons besoin de tous nous mobiliser pour que notre pays réussisse. Si un jeune veut s’épanouir en étant ingénieur, qu’il soit ingénieur. S’il veut être agriculteur, qu’il soit agriculteur. Et s’il veut s’épanouir en étant pâtissier, il faut le laisser devenir pâtissier.

Le taux d’employabilité des apprentis de l’artisanat est de 85 %. A côté, de malheureux bacheliers sans affectation voient leurs espoirs s’effondrer. Que dire à un jeune de 18 ans qui idéalise les diplômes du "supérieur" ?

B. S. : Ils veulent entrer à l’université ? En choisissant l’Artisanat, ils entrent dans une Université régionale des métiers de l’Artisanat. Les URMA permettent dans chaque région de faire du sur-mesure, d’individualiser les parcours. A l’issue, ils sont sûrs de trouver un emploi. 20 % des chefs d’entreprise ont plus de 55 ans, et donc il y a des entreprises à reprendre. On n’entre pas dans l’artisanat par défaut : on y entre par passion, on y entre parce qu’on est accueilli. A ces bacheliers, je dis "osez". Osez là où vous pouvez réussir, innover, là où vous serez fiers de devenir chef d’entreprise.

Vous avez qualifié de "lucides et responsables" les propos d’Emmanuel Macron sur l’apprentissage. Il a notamment promis qu’il allègerait le coût des apprentis et valoriserait le statut de maître d’apprentissage. Quelles garanties financières attendez-vous de l’Etat ?

B. S. : Je partage les propos du Président de la République sur l’apprentissage comme voie d’accès efficace à l’emploi. Il a la volonté, et nous, le réseau des CMA, avons le chemin et les outils pour répondre à cette démarche. Pour l’entreprise, le coût de l’apprenti, surtout quand il est un peu plus âgé, est lourd. Or, nous avons besoin de former car le personnel qualifié manque. L’Etat, plutôt que de financer des contrats d’avenir, devrait accompagner les maîtres d’apprentissage. Nous devons trouver des solutions pour que le coût pour les entreprises ne soit pas un frein à l’embauche, notamment des apprentis plus âgés, en reconversion professionnelle. Pour les moins de 18 ans, il existe une aide de 4400 euros la première année. Mais il faut donner la possibilité d’embaucher aussi des apprentis plus âgés, en reconversion professionnelle. Les tuteurs ont besoin d’un soutien plus massif.

L’APCMA travaille à un "espace de services" pour les artisans. Demain, à quels types de service pourront-il accéder en ligne ?

B. S. : Le numérique est une opportunité pour le développement des entreprises artisanales et un outil majeur de modernisation pour les CMA. Le Président Michel Boulant (également président de la CMA de la Marne) anime un groupe de travail sur le sujet. Son objectif est de tracer la feuille de route du réseau sur les cinq prochaines années à la fois pour améliorer notre suivi aux artisans et la numérisation de notre fonctionnement. La plateforme de services est l’un des dossiers prioritaires. Notre volonté est de généraliser la CMA numérique pour un contact direct et permanent avec les artisans en portant des solutions numériques mutualisées et harmonisées. De plus en plus de documents seront numérisés, ce qui évitera aux artisans de se déplacer et d’attendre. Nous accompagnerons également les entreprises artisanales dans leur numérisation : pouvoir prendre un rendez-vous en ligne avec un plombier est un plus pour le client. De son côté, l’Etat doit mettre en œuvre une vraie politique pour que tous les artisans aient accès à la fibre. L’artisan est partout, au cœur de tous les territoires ! On ne peut pas le priver du numérique. Nous allons rencontrer dans quelques jours le secrétaire d’Etat au numérique à ce sujet.

Les élus eux-mêmes vont-ils être mieux sensibilisés, formés au numérique ?

B. S. : Notre volonté est de faire de la transition numérique un atout de la transformation du réseau. L’accompagnement au changement numérique de nos agents et des élus est tout aussi important que la mutation de nos outils et nos pratiques. Dans le réseau, les présidents vont s’impliquer fortement sur le sujet. Notre ambition est de faire d’eux des ambassadeurs de l’artisanat en professionnalisant leur rôle et en les encourageant à s’impliquer dans les instances politiques.

Les CFA ont un besoin important de numérisation. Comment contribuer à les équiper ?

B. S. : Cette question est du ressort des Régions. C’est pourquoi je conseille à nos élus de chambre de s’engager pleinement à ce niveau car c’est là que se prennent les décisions. Sur le fond, il faut moderniser notre offre en modularisant nos formations et en digitalisant nos CFA. L’apprentissage du XXIe siècle, c’est aussi l’innovation, le digital… On ne peut pas numériser nos entreprises si les CFA ne donnent pas le premier exemple. A ce titre, le réseau des CMA travaille main dans la main avec les Directeurs des CFA, avec les pôles d’innovation. Nos jeunes sont ancrés dans l’ère du numérique et prompts à utiliser les bons outils de communication. Ils apprennent au CFA à utiliser les techniques modernes qu’ils vont transposer dans l’entreprise. C’est avec eux et que l’artisanat s’adaptera aux enjeux futurs. L’artisanat de demain se construit dès aujourd’hui.

Le secrétariat d’Etat au Numérique vous viendra-t-il en aide financièrement ou techniquement sur ce projet ?

B. S. : Nous avons des projets et notre réseau se mobilise. Pour les mettre en œuvre, nous avons besoin des Régions. Nous avons également besoin que l’Etat nous suive sur ces sujets. Pour cela, je rencontre régulièrement les ministres en charge de nos sujets : ils sont à notre écoute et je défends à chaque fois nos projets, nos outils… pour qu’ils nous accordent toute leur confiance.  

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