Panorama

2010-2020 : le visage de l'artisanat a changé

Le 04/03/2020
par Sophie de Courtivron
Depuis dix ans, l’artisanat a subi des soubresauts, son visage a changé, à l’image de la société. Ces mouvements esquissent aussi les tendances de demain. Quels sont-ils et que nous enseignent-ils ? Tour d’horizon de ce qui vous est arrivé. Pour mieux entrevoir ce qui pourrait arriver...
Partager :

Début 2010, l’artisanat comptait presque 1.070.000 entreprises ; vous êtes 1.390.000 en 2017 (Insee). Cette progression doit être approchée de celle du régime micro-entrepreneur, apparu en 2009…

"Un changement total du paysage du travail indépendant"

Un an après la création du régime micro-entrepreneur, il y avait 73 000 "auto-entreprises" artisanales en France (en 2010, Insee). Aujourd’hui, "sur le million d’artisans travailleurs indépendants, la moitié sont des micro-entrepreneurs", pose Alain Gubian, directeur des statistiques des études et de la prévision à l’Acoss. "Entre 2010 et 2018, le nombre de travailleurs indépendants a augmenté de 15% ; si l’on regarde ce chiffre de plus près, le nombre de micro-entreprises a explosé (+121%) tandis que le nombre de travailleurs indépendants classiques a baissé (-22%)." 

La part de micro-entrepreneurs dans l’artisanat est ainsi représentative d’un "changement total du paysage du travail indépendant, qui est une tendance de moyen/long terme", estime Éric Le Bont, directeur national des travailleurs indépendants à l’Acoss. À noter cependant que la part des artisans parmi les travailleurs indépendants reste stable entre 2009 et 2018 (34%). La micro-entreprise tendrait-elle à redessiner le fonctionnement de l’entreprise classique ?

Simplification administrative en cours

Qu’est-ce qui attire les créateurs d’une micro-entreprise ? "La simplicité de paiement au mois le mois et la contemporanéité entre le revenu et le paiement des charges. Mais cela attire aussi, de façon plus générale, tous les artisans, explique Éric Le Bont. Il y a de fortes demandes en ce sens." Qui semblent prises en compte... "Nous étions auparavant sur l’année N-2 pour calculer les cotisations sociales des entreprises ; nous nous ajustons maintenant sur l’année N-1. De plus, nous testons une modulation des cotisations des travailleurs non salariés (hors micro-entrepreneurs) en fonction des résultats réels au mois ou au trimestre", poursuit-il.

Une simplification visiblement appuyée par l’État. "Les gouvernements s’attellent depuis des années à une simplification administrative : il y a eu celle du contrat d’apprentissage, et nous avons relancé le chantier de la simplification dans le cadre de la Stratégie nationale pour l’artisanat et le commerce de proximité, annoncée par la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, en octobre 2019", explique un référent en charge de l’artisanat à la DGE.

Crises… et reprise

Les années 2010-2020 n’ont pas épargné le secteur. Surtout que "les effets d’une crise économique se font sentir dans l’artisanat avec un décalage ; il a beaucoup souffert de la crise économique entre 2011 et 2016", remarque Catherine Élie, directrice des Études et du développement économique à l’Institut supérieur des métiers (ISM). Un malaise alors bien installé. En 2017, 30% des entreprises de plus de trois ans se disaient en situation financière difficile, contre 21% en 2013 (ISM). En 2018, c’est la crise des Gilets jaunes qui a, selon CMA France, impacté un artisan sur deux.

Après un relatif tassement entre 2015 et 2017, le nombre de créations d’entreprises artisanales a néanmoins repris le chemin de la hausse en 2018 (177.500 entreprises, +14% par rapport à 2017). Et ce dans tous les secteurs. Le frémissement est léger, mais l’année 2018 a aussi été marquée par une hausse du chiffre d’affaires (CA) des entreprises artisanales (+2%, portée par le BTP), qui se maintient en 2019 (baromètre U2P/I+C). Le CA réalisé par les micro-entreprises a bondi en 2018 (+24,9%), "ce qui est le pur effet de la hausse des seuils (doublement des seuils de chiffre d’affaires de 2018)", admet Éric Le Bont. Car, avant 2018, le revenu annuel moyen des micro-entrepreneurs est quatre à cinq fois moins élevé que celui des indépendants du régime classique (ISM).

L’emploi salarié en berne

Il y a certes une reprise, "mais nous n’avons pas retrouvé le dynamisme d’avant-crise ; la reprise ne concerne pas les entreprises sans salarié, pointe Catherine Élie. Le tissu entrepreneurial est donc fragile, les entreprises de plus en plus petites." En 2018, 61% des entreprises artisanales n’ont pas de salarié (contre 43% en 2000, ISM).

Globalement, "le coût du recrutement du premier salarié est considéré comme trop élevé et les entrepreneurs reculent avant de franchir ce pas", constate l’expert en charge de l’artisanat à la DGE. Seules 5% des entreprises créées emploient des salariés lors du démarrage de l’activité (contre 20% en 2007, selon l’Insee).

Si, pour Catherine Élie, c’est "un symptôme de la baisse des créations par reprise d’entreprise", cela s’explique aussi en partie par le fait qu’environ 23% des micro-entrepreneurs ont en parallèle un emploi salarié et n’ont pas pour projet de développer leur activité indépendante. 

"On touche là aux limites de la micro-entreprise. Dans le bâtiment par exemple, pour accéder aux marchés de la rénovation énergétique, notamment aux marchés publics, il faut être une entreprise structurée", illustre Catherine Élie. En outre, si l’apprentissage a le vent en poupe, Bernard Stalter, président de CMA France, rappelait récemment que "les micro-entrepreneurs n’embauchent pas d’apprentis". Ce qui fragilise l’emploi et la transmission des savoir-faire, notions chères aux Français.

L’artisanat, des valeurs plébiscitées

L’artisanat répond à deux préoccupations sociétales fortes, ce qui envoie des signaux encourageants quant à son évolution future. D’abord, "le regain d’intérêt pour les métiers de la création et le travail de la main", souligne Catherine Élie ; fait positif quand on sait que l’emploi salarié dans l’artisanat de fabrication est en chute libre depuis 2000, contrairement aux autres secteurs (Acoss/Urssaf/ISM). Si l’on rapproche l’évolution des profils des dirigeants (12% sont d’anciens cadres en reconversion, ISM, 2019) du récent élargissement de l’âge d’entrée en apprentissage "le secteur de l’artisanat devrait poursuivre son développement à moyen terme", avance la DGE.

Deuxième préoccupation majeure, "les tendances de marché sont favorables à l’artisanat, avec la recherche croissante de produits locaux. La proximité est un critère d’achat fort", continue Catherine Élie. Deux Français sur trois privilégient en effet la proximité en matière d’alimentation (Crédoc, consommation et modes de vie, mai  2018).

"Même si, pour certains produits qualitatifs à forte valeur ajoutée, le prix du Fabriqué en France peut être un frein ; les fruits seront donc plus longs à venir."

Catherine Élie

L’artisanat est particulièrement bien implanté, partout en France (depuis 2009, le nombre d’entreprises artisanales ne cesse d’augmenter dans les villes et les campagnes, Insee/ISM). "Le tissu artisanal est même plus important dans les campagnes et les quartiers prioritaires de la ville, jouant ainsi le rôle d’amortisseur économique dans les territoires en difficultés", insiste Catherine Élie.

Ce rôle fort des TPE artisanales, moteurs économiques et actrices du lien, est soutenu par le gouvernement (cf. la Stratégie nationale pour l’artisanat et les commerces de proximité d’octobre 2019 et le Contrat d’objectifs et de performance 2020-2022 signé en janvier ). L’artisanat cristallise ainsi les attentes de la société ; souple, proche des gens, humain, il en devient un précieux indicateur.
 

Partager :