Plan pour les indépendants : un bon début
"L’idée du Plan Indépendants était de créer un environnement juridique, fiscal et social plus simple et protecteur pour les indépendants ; certaines mesures étaient attendues de longue date par les professionnels et leurs organisations", rappelle le cabinet d’Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.
Pour rappel, ce plan s’est décliné à travers la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (statut unique…), le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale et le Projet de loi de finances 2022 (questions sociales et fiscales).
Un statut unique d’entrepreneur individuel (EI)
Dans un contexte où le nombre de défaillances d’entreprises pourrait en 2024 être supérieur à celui d’avant la crise sanitaire, l’insaisissabilité du patrimoine personnel de l’EI par les créanciers est un acquis précieux.
Cette mesure pourrait avoir pour conséquence des banques plus frileuses, ou incitant les entrepreneurs à renoncer à cette protection (la loi le permet), mais "nous avons échangé avec la Fédération bancaire française et il n’y a pas d’abus de leur part", note Michel Picon, premier vice-président de l’U2P.
La loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante prévoit que le gouvernement remettra un rapport au parlement avant mars 2024. "Nous regarderons notamment les conditions d’accès au crédit des entrepreneurs, et pourrions proposer des améliorations sur ce sujet si cela s’avérait nécessaire", précise le cabinet d’Olivia Grégoire.
De son côté, le réseau des CMA "travaille avec les sociétés de cautionnement mutuel comme la Siagi ou la Socama pour proposer aux artisans des offres de garanties sécurisantes", mentionne Joël Fourny, président de CMA France.
Pour Anthony Streicher, président de l’association GSC (assurance perte d’emploi), la mesure va dans le bon sens, mais pas assez loin : "La protection du patrimoine personnel ne s’applique qu’aux créances nées après le 15 mai 2022 ; de plus, les règles ne sont pas les mêmes pour l’entrepreneur à la tête d’une société, pourquoi ? Et dans les faits, l’immense majorité des chefs d’entreprise se mettent caution personnelle quand ils empruntent…"
L’amélioration et la simplification de la protection sociale
L’amélioration est indéniable. Les mesures ont été appliquées, certaines prolongées (comme la neutralisation de l’année 2020 quand elle fait baisser le montant des indemnités journalières des arrêts de travail de 2023) et "l’esprit" du PI continue à vivre (baisse des cotisations de Sécurité sociale des indépendants dans la loi pouvoir d’achat d’août 2022).
Mais côté "simplification", on n’y est pas vraiment. Le dispositif d’assurance volontaire contre le risque des accidents du travail et des maladies professionnelles "était peu connu, et l’est toujours", observe Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants (et ce malgré la baisse du taux de cotisation d’environ 30%).
"On aurait aimé que ce principe soit développé pour les branches retraite et maladie. Le souhait des travailleurs indépendants est de se rapprocher le plus possible des salariés."
Une volonté qui s’est incarnée dans la forte mobilisation, à l’occasion de la réforme des retraites, "pour que l’assiette de leurs cotisations sociales soit modifiée : ils payent davantage de CSG et de CRDS que les salariés et en parallèle se constituent moins de droits à la retraite", tempête Michel Picon.
Le gouvernement a finalement tenu ses promesses et déposé, en octobre dernier, un amendement en ce sens au projet de budget de la Sécurité sociale pour 2024. Seul bémol, "on parle des cotisations pour la retraite de base, mais il y a aussi la retraite complémentaire obligatoire (Agirc-Arrco pour les salariés, en fonction des branches pour les indépendants). Les caisses complémentaires vont être amenées à augmenter leurs cotisations, jusqu’à quel niveau ?", s’inquiète Jean-Guilhem Darré.
Et François Hurel, président de l’Union des auto-entrepreneurs, d’en remettre une couche : "Je n’ai jamais vu un système aussi opaque que les retraites des indépendants : on n’y comprend rien."
Faciliter la reconversion et la formation
Dans le plan, l’accès à l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) – leur assurance-chômage – a été assoupli (revenu minimum pour en bénéficier, etc.). Son montant est d’environ 800€ par mois, pendant six mois ; or "en 2021, 130 millions d’euros avaient été provisionnés et 25 millions utilisés… Il serait donc possible de l’augmenter", souligne Jean-Guilhem Darré.
En 2021, l’échec de l’ATI était flagrant : "911 personnes en avaient bénéficié sur plus de 40.000 qui à l’époque passaient par le tribunal de commerce", affirme Anthony Streicher. Il déplore que le nombre de bénéficiaires soit resté… stationnaire. "Ce sont des bruits de couloir, mais personne ne trouve les chiffres." "Nous allons questionner les Urssaf et l’Unedic prochainement", surenchérit Michel Picon, tout aussi perplexe.
Pour Anthony Streicher, il y a une défaillance d’information, qui doit être "pilotée et coordonnée par le gouvernement auprès de l’ensemble de l’écosystème d’accompagnement des entreprises, sur tout le territoire. Car il est possible de se protéger (ATI et complémentaire qui peut être mise en place)."
Le cabinet d’Olivia Grégoire affirme qu’une évaluation de l’ATI sera faite, le président de la République s’y est engagé.
Les travailleurs indépendants semblent unanimes sur la nécessité d’aller plus loin sur la prévention des difficultés des entreprises.
En plus du doublement du crédit d’impôt pour la formation des dirigeants de TPE, ces derniers n’ont plus, depuis le 1er septembre 2022, qu’un seul interlocuteur grâce à la fusion du Fafcea (Fonds d’assurance formation des chefs d’entreprise artisanale) et des différents conseils de la formation.
Dans une même logique, "nous sommes en train de travailler au rapprochement entre le Fafcea et le FIFPL pour faire un grand FAF avec une assiette financière de 150 millions d’euros et mutualiser le travail. Efficient début 2024, il procède de l’esprit du PI, qui a rapproché l’ensemble des indépendants", ajoute Michel Picon.
Favoriser la transmission des entreprises
La possibilité de déduire fiscalement l’amortissement d’un fonds de commerce acquis entre 2022 et 2025 est pour Michel Picon une mesure "puissante" (les éléments incorporels du fonds acquis par les titulaires de BNC sont concernés : clientèle...).
Les petites entreprises peuvent ainsi amortir comptablement, sur une période de dix ans, un fonds acquis sans qu’aucun justificatif ne soit nécessaire (et ce sera fiscalement déductible).
"Il y a une baisse de 15 à 20% de chiffre d’affaires quand on reprend une clientèle, pour tous les métiers. Avec moins de charges il y a moins de risque d’être en difficulté, analyse Michel Picon. C’est aussi un levier au développement et à l’investissement."
Fin 2025, le dispositif sera évalué. "L’objectif du gouvernement n’est pas de provoquer un effet d’aubaine mais bien de consolider les reprises. Si c’est le cas, la mesure sera pérennisée, ce sont les engagements que nous avons eus."
Dans dix ans, 300.000 entreprises artisanales seront à reprendre. "Si le Plan Indépendants a permis une nouvelle prise de conscience, il faudrait aller plus loin en incitant par exemple les cédants à anticiper le passage de témoin avant la retraite par un 'chèque conseil transmission' ", suggère Joël Fourny.
Simplifier l’environnement juridique et l’accès à l’information
"Chaque fois que j’entends le mot 'simplification', je me méfie car ça signifie 'complexification' ", prévient François Hurel. Le ratage total du démarrage du guichet unique en a été un exemple.
"On devrait faire tendre les régimes existants vers ce qui marche et qui est simple, comme le régime micro-entrepreneur (il y a 3.500 inscriptions par jour !)."
Une mesure du PI concernait l’exercice en société des professions libérales réglementées (clarification du cadre juridique applicable et nouveaux outils de développement pour les professionnels) ; "les décrets d’application sont en cours de rédaction et l’ordonnance prise entrera en vigueur le 1er septembre 2024", évoque le cabinet d’Olivia Grégoire. "Cela a ouvert le champ des possibles : association avocat et expert-comptable par exemple…)", se réjouit Michel Picon.
À la suite du PI, un nouveau Code de l’artisanat est en usage depuis le 1er juillet 2023, plus clair et plus cohérent.
Lancées fin novembre, les Rencontres de la simplification a incité les chefs d’entreprise à faire des propositions sur ce sujet jusqu’à fin 2023. On leur demande ainsi de la réactivité, du concret, et… de la concision (140 caractères !) Ils en attendent autant de l’État pour faciliter leur travail. Des premiers pas ont été faits avec et depuis le PI. Mais la route est encore longue.
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